La captation de testaement: Larocque c. Gagnon
Le contexte
En sa qualité de tutrice de sa fille mineure Marie-Ève Gagnon, Huguette Larocque se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui accueille une requête présentée par Daniel Gagnon en vérification de testament, déclare valide le testament devant témoins signé le 5 août 2012 par feu Marcel Gagnon, et rejette sa défense amendée par laquelle elle alléguait à la fois l’incapacité de tester du défunt à la date du testament litigieux et la captation pratiquée à son endroit par Daniel Gagnon ou la mise en cause Sonia Gagnon, ou les deux.
Les faits sont longuement récités par le juge de première instance au terme d’un procès de six jours; il suffit, ici, d’en dresser l’essentiel.
Conjoint de fait de l’appelante pendant environ 35 ans, M. Gagnon est décédé le 19 août 2012 à l’âge de 68 ans. M. Gagnon a fait carrière comme entrepreneur de construction et, au fil des ans, Mme Larocque a aidé son conjoint dans la gestion de certaines de ses affaires financières. Au moment du décès, le couple est séparé depuis deux mois et demi. Mme Larocque et M. Gagnon ont une fille, Marie-Ève Gagnon. M. Gagnon a deux enfants d’une union précédente : l’intimé Daniel Gagnon et la mise en cause Sonia Gagnon. Les mis en cause Alexandra et Maxime sont les enfants de Daniel, alors qu’Anthony Gagnon est le fils de Sonia.
M. Gagnon subit deux accidents cérébrovasculaires en novembre 2005 et en mars 2008, le dernier le laissant partiellement paralysé du côté gauche. Le 25 mars 2008, il signe un mandat en cas d’inaptitude devant notaire qui désigne Mme Larocque mandataire à ses biens et à sa personne. Le même jour, il signe un testament notarié par lequel il nomme Mme Larocque liquidatrice de sa succession et, après certains legs particuliers notamment à ses enfants et petits-enfants, l’institue comme sa légataire universelle résiduaire.
Au mois d’août 2008, M. Gagnon subit un autre accident cérébrovasculaire. Le 31 octobre 2008, il modifie son testament par codicille, toujours fait devant notaire, afin de révoquer les legs particuliers initialement stipulés, dont ceux en faveur de ses enfants et ses petits-enfants, tout en laissant Mme Larocque comme liquidatrice et légataire universelle de ses biens.
Sa santé continue à se dégrader. En février 2011, M. Gagnon est hospitalisé en raison d’un nouvel ACV, conjugué à une crise d’épilepsie. Selon Mme Larocque, son conjoint est souvent irritable et éprouve de plus en plus d’épisodes de comportement erratique. Il constituerait, dorénavant, un danger pour lui-même et pour autrui.
Après consultation d’un neurologue, le Dr Christian Bocti, en janvier 2012, M. Gagnon est obligé de passer un test de conduite à la Société d’assurance automobile du Québec. Selon son médecin traitant, le Dr Charles Deacon, M. Gagnon a dit qu’il tuerait le Dr Bocti si ce dernier lui faisait perdre son permis. Il échoue le test et voit son permis de conduire révoqué. M. Gagnon en est très affecté, met sa voiture au nom de sa fille Sonia et continue à la conduire, sans permis.
Devant un comportement qu’elle trouve de plus en plus difficile, Mme Larocque informe son conjoint en avril 2012 de son intention de faire homologuer le mandat en cas d’inaptitude de 2008. À l’appui de cette demande, le Dr Bocti prépare un rapport qui constate l’inaptitude totale et permanente de M. Gagnon à assurer la protection de sa personne, à exercer ses droits civils et à administrer ses biens. Une travailleuse sociale, Line Côté, conclut elle aussi à l’inaptitude totale et permanente de M. Gagnon. Elle produit, à son tour, une évaluation psychosociale en ce sens aux fins de l’éventuelle demande en homologation du mandat.
Le 1er juin 2012, Mme Larocque dépose une requête en homologation du mandat en cas d’inaptitude. Le 4 juin 2012, la notaire chargée du dossier en informe les institutions financières avec lesquelles M. Gagnon fait affaire.
M. Gagnon se présente à la banque le lendemain avec sa fille Sonia. Il apprend que son compte est gelé. Il décide sur-le-champ de vider son coffret de sécurité. Peu après, il y aura confrontation entre lui et Mme Larocque. M. Gagnon demande à sa conjointe et à sa fille Marie-Ève de quitter la résidence familiale en les menaçant avec un bâton. Les policiers interviennent et M. Gagnon est transporté à l’hôpital psychiatrique. Cela marque, dans les faits, la fin de la vie commune.
Au cours du mois de juillet, M. Gagnon persiste à proférer des menaces envers Mme Larocque et leur fille, ce qui amène Mme Larocque à contacter la police de nouveau. M. Gagnon est arrêté le 26 juillet 2012, puis remis en liberté le lendemain à la condition de ne pas communiquer avec sa conjointe ou Marie-Ève.
Au cours de l’été 2012, M. Gagnon consulte la notaire qui a préparé le mandat en cas d’inaptitude de 2008. Il voulait y apporter des changements, notamment par l’ajout d’un mandataire autre que sa conjointe. La notaire lui dit qu’elle aurait besoin de rapports médicaux relatifs à son état mental avant de faire les changements souhaités. Cette preuve ne viendra pas et les changements au mandat ne seront pas effectués.
Le 5 août 2012, l’intimé Daniel Gagnon prépare, à la demande de son père, un testament devant témoins par lequel M. Gagnon le désigne liquidateur de la succession. Robert Masson agit à titre de témoin avec un dénommé Marc Courchesne. Outre quelques legs particuliers, ce nouveau testament partage le résidu de la succession par tiers entre ses enfants Sonia Gagnon, Marie-Ève Gagnon et les deux enfants de Daniel Gagnon. Mme Larocque n’y est pas désignée comme légataire.
Le 19 août 2012, M. Gagnon meurt. Mme Larocque et sa fille Marie-Ève l’apprendront le 22 août 2012, en consultant le journal.
Le 24 août 2012, Daniel Gagnon dépose une requête en vérification du testament du 5 août 2012 devant la Cour supérieure.
Le 25 août 2012, les cendres de M. Gagnon sont exposées à la Coopérative funéraire de l’Estrie. Des gardes de sécurité privés empêchent alors Mme Larocque et sa fille Marie-Ève de pénétrer à l’intérieur de l’édifice, conformément aux directives de Sonia et Daniel Gagnon. Elles y auront finalement accès avec l’aide de la police.
Au procès, Mme Larocque produit en preuve un document intitulé « formulaire de mandat en cas d’inaptitude », signé par Maurice Gagnon et désignant Daniel Gagnon à titre de mandataire de son père. Le document est daté du 4 septembre 2010 et attesté par Robert Masson, un cousin de Daniel et Sonia, et Germain Duval, un ancien collègue de travail de Maurice Gagnon. Selon les allégations en défense de Mme Larocque, ce document a été préparé en 2012 et frauduleusement antidaté par Daniel et Sonia Gagnon dans le but de faire obstacle, illégalement, à la demande d’homologation du mandat de 2008. L’intimé conteste le caractère frauduleux du document et soutient tant en première instance qu’en appel qu’il a été bel et bien préparé en 2010.
Le jugement de la Cour supérieure
Étant saisi d’une requête en vérification du testament devant témoins du 5 août 2012, le juge précise qu’en défense, Mme Larocque allègue l’absence de capacité de tester de feu Marcel Gagnon et, de façon subsidiaire, la captation pratiquée par Daniel et Sonia Gagnon à l’endroit du testateur affaibli par son état de santé.
Quant à la demande de vérification stricto sensu, le juge identifie feu Marcel Gagnon comme le signataire du testament du 5 août 2012, constate le décès de ce dernier et fait état du respect des conditions de forme du testament devant témoins (paragr. [3] et [84]).
L’essentiel du jugement de 18 pages est consacré à la preuve ayant trait à la capacité de tester.
Le juge résume les conclusions des expertises au dossier, en commençant par celles des médecins Christian Bocti et Charles Deacon, appelés par Mme Larocque, ainsi que celle du docteur Pierre Gagné, appelé par Daniel Gagnon. Il fait de même avec celles des travailleuses sociales Line Côté et Maryse Roy, respectivement témoins en défense et en demande. Il s’attarde aussi longuement aux témoignages des proches, dont Mme Larocque, sa fille Marie-Ève, de même que Sonia et Daniel Gagnon. Enfin, il rapporte la version de la notaire quant à l’aptitude du de cujus lors de la signature du testament et du codicille de 2008 et à son contact avec celui-ci concernant les modifications qu’il recherchait à l’été 2012.
Le juge estime que l’appelante a fait la démonstration prima facie d’un état d’aliénation ou de faiblesse d’esprit chez M. Gagnon :
En effet, la preuve apportée par les docteurs Bocti et Deacon […] soulève un doute sérieux quant à la faiblesse d’esprit du de cujus à l’époque. Témoignant à l’instigation du fils, le docteur Gagné, dans son témoignage, ne contredit pas les allégations qu’on retrouve aux paragraphes 73 à 75 de la défense. Certes, il apporte certains bémols, mais ceux-ci ne changent rien au fond du litige. D’ailleurs, le docteur Gagné est d’avis que l’ouverture d’un régime de protection, soit celui de conseiller majeur, était justifié par l’incapacité du de cujus.
Il faut donc conclure que la conjointe a franchi la première étape et qu’elle a démontré prima facie l’existence d’un état habituel d’aliénation ou de faiblesse d’esprit chez le de cujus le 5 août 2012.
Pour le juge, ceci est suffisant, selon la norme jurisprudentielle applicable, à faire déplacer le fardeau de prouver la capacité de tester de M. Gagnon sur l’intimé.
Il écrit néanmoins, en faisant allusion à la règle énoncée à l’article 707 C.c.Q., que « ‘au temps de son testament’, le de cujus avait la capacité requise pour tester » (paragr. [58]). Le juge souligne que le témoignage du Dr Gagné, qui conclut à la lucidité de M. Gagnon, ainsi que celui de la travailleuse sociale Roy, sont plus contemporains au testament du 5 août 2012 que ne l’est la preuve des médecins Bocti et Deacon ou de la travailleuse sociale Côté. Faisant un bilan détaillé de la preuve – le juge revient sur les « bémols » exposés par le Dr Gagné quant à la capacité du testateur et les « points favorables aux prétentions de la conjointe » dans le témoignage de Mme Roy. Toutefois, il souligne que Mme Larocque et Marie-Ève ont peu vu M. Gagnon dans les deux mois suivant la fin de la vie commune du couple, tandis que l’intimé et sa sœur Sonia ont été plus présents dans la vie de leur père à cette époque. Il conclut ainsi :
En définitive, même si, dans cette affaire, tout n’est pas blanc ou noir et qu’il reste des zones grises, la Cour est d’avis que le fils, requérant en l’instance, a renversé le fardeau qui repose sur ses épaules et a convaincu le tribunal que le de cujus a testé le 5 août 2012 au cours « d’un intervalle de lucidité ».
Le juge termine son analyse de la capacité de tester en évaluant la teneur des dispositions contenues aux testaments de 2012 et de 2008. Il note que le testament litigieux de 2012 prévoit que, pour l’essentiel, M. Gagnon lègue ses biens comme suit : un tiers à sa fille Sonia, un tiers à sa fille Marie-Ève, et un sixième à chacun des enfants de son fils Daniel, Alexandra et Maxime. Par contre, le testament de 2008 prévoyait à l’origine des legs de 300 000 $ à Daniel et à Sonia, avec des montants de 30 000 $ aux petits-enfants du défunt, et le résidu à Mme Larocque. Par codicille exécuté devant la notaire Charron, les legs particuliers ont été supprimés, et seule Mme Larocque héritait des biens du défunt.
Pour le juge, la teneur des deux testaments ne permet pas de conclure au caractère déraisonnable des dispositions de celui du 5 août 2012 : Le testament contesté fait donc des gagnants et des perdants. Parmi les perdants se retrouve principalement la conjointe.
Les gagnants sont les deux filles du de cujus et les petits-enfants. On ne peut pas dire qu’il s’agit là de dispositions testamentaires déraisonnables. Ce qui confirme la capacité du de cujus de tester à l’époque du 5 août 2012.
Les motifs du juge sur l’argument subsidiaire de captation présenté par Mme Larocque sont plus succincts. Il écrit que les deux témoins du testament de 2012 « n’étaient pas des proches du de cujus » (paragr. [83]). Au regard des articles 727 et 728 C.c.Q. et de la preuve au dossier, il estime que « rien ne permet de mettre en doute la présence des conditions exigées pour la signature du testament » (paragr. [84]).
En ce qui a trait à la tentative de faire croire qu’un mandat en cas d’inaptitude avait été signé en leur faveur le 4 septembre 2010, alors que celui-ci l’avait été en juin 2012, le juge porte un jugement sévère sur la conduite de Sonia et Daniel Gagnon : « Ces gestes constituent peut-être un acte criminel puisqu’il y a ici fabrication de faux et sans doute utilisation de faux », écrit-il, soulignant son propos en caractères gras (paragr. [86]). « Quoi qu’il en soit, » raisonne le juge, « la Cour n’est pas en présence de captation et n’est pas en présence d’une raison qui permettrait de ne pas vérifier le testament du 5 août 2012 » (paragr. [87]).
Le juge accueille la requête en vérification et déclare valide le testament du 5 août 2012. Cependant, il refuse d’accorder à Daniel Gagnon les frais qui lui auraient normalement été accordés en cas de gain de cause. Il justifie cette décision en évoquant le comportement répréhensible de Daniel et Sonia Gagnon au moment du décès de leur père, de par leur opposition déraisonnable à la présence de Mme Larocque au salon funéraire.
Les questions en litige
L’appelante soulève essentiellement deux questions afin de contester la validité substantielle du testament du 5 août 2012. D’abord, le juge se serait trompé dans son appréciation de la preuve en concluant à la capacité de tester de M. Gagnon. Deuxièmement, et de façon subsidiaire, il aurait erré en refusant l’argument de l’invalidité du testament en raison de la captation pratiquée par Daniel et Sonia Gagnon.
L’analyse
Le fondement du droit d’appel
Une question préliminaire se pose quant à la compétence de la Cour sur le dossier. Ayant noté que le juge de première instance statue sur une requête en vérification de testament et que l’appelante a choisi d’inscrire le jugement en appel plutôt que de demander la permission d’interjeter appel, les membres de la formation ont demandé aux parties de faire des observations quant à cet aspect procédural.
La contestation en première instance est liée de manière irrégulière. La défenderesse Huguette Larocque ne s’est pas opposée à la requête en vérification de testament en soulevant des défauts de forme à l’acte litigieux, mais plutôt des moyens contestant sa validité au fond, plus précisément l’incapacité de tester de Marcel Gagnon en août 2012 et, par un amendement à la défense présenté au milieu du procès, un argument subsidiaire selon lequel le consentement du testateur a été vicié par captation pratiquée par ses enfants Daniel et Sonia Gagnon.
Il y avait, dans cette façon de faire, une confusion de genres. En effet, même si elle contestait la requête présentée par l’intimé Daniel Gagnon en demandant son « rejet », Mme Larocque ne remettait pas en question les éléments propres à la vérification du testament sollicitée devant le premier juge : elle ne présente aucun argument contestant l’identité du testateur, son décès ou le respect des exigences de forme du testament devant témoins2. Ses arguments visaient la contestation des règles de fond du testament qui ne devaient pas faire partie du litige à ce stade-ci en raison de la nature de l’instance de la vérification, ce que le Code de procédure civile qualifie comme une procédure non contentieuse. En effet, les conclusions de sa défense recherchaient non seulement le rejet de la requête en vérification de l’intimé, mais également l’annulation du testament de 2012 pour des motifs de fond et l’octroi de plusieurs déclarations reliées à la mise en application du testament notarié de 2008. Devant le juge, les procédures comportaient un caractère quelque peu hybride, englobant une instance en vérification, suivant les conclusions recherchées en demande, et une qui prônait l’annulation du testament pour incapacité et captation, suivant les conclusions de la défense amendée.
Personne ne soulève cette incongruité en première instance, y compris le juge qui, pourtant, se devait de la soulever d’office. Au contraire, par leur déclaration commune de dossier complet, les parties annoncent leur intention de mener le débat sur les deux fronts. L’intimé annonce une preuve propre à la procédure de vérification (dépôt du certificat de décès, le testament du 5 août 2012, une preuve provenant des témoins à l’acte), mais les deux parties consignent aussi une liste de témoins et de documents permettant un débat complet sur les allégations soutenues en défense, soit l’incapacité de tester et la captation.
Par ailleurs, la lecture du jugement laisse croire que le juge a fait la part des choses; il y traite d’abord de tous les éléments nécessaires à sa conclusion éventuelle d’accueillir la requête en vérification, avant de disposer, distinctement, des moyens d’incapacité et de captation et de rejeter la défense amendée de Mme Larocque qui, elle, sollicitait l’annulation du testament du 5 août 2012.
En somme, les parties semblent s’être entendues, du moins implicitement, sur la nouvelle nature du litige, issue du caractère inapproprié des moyens de défense à la demande de vérification et de la présence des allégations de fait donnant lieu à ce qui était en réalité une demande reconventionnelle. Les commentaires du juge lors de l’audience du 13 mars 2014 font état de sa compréhension que le dossier de vérification s’est « transformé » en dossier de validité substantielle en dépit de l’irrégularité procédurale déjà notée, et l’avocat de l’intimé s’est dit d’accord avec cette façon de qualifier l’instance. Devant ces circonstances exceptionnelles, cela revêt une importance particulière en ce qui a trait au droit d’appel. En effet, alors que l’article 26, al. 2 (1) de l’ancien C.p.c. prévoit qu’un jugement statuant sur une requête en vérification de testament est appelable sur permission seulement4, une action en nullité de testament (ce qui était le véritable objet des procédures de l’appelante) est plutôt appelable de plein droit en vertu de 26, al. 1 (1) C.p.c. (30, al. 1 du nouveau C.p.c., RLRQ c C-25.01).
Devant la possibilité que l’appel ne soit pas régulièrement formé, et notant que plus de six mois sont écoulés depuis le jugement de première instance, la Cour demande des explications de l’appelante à l’audience.
Elle nous dit deux choses.
D’abord, l’appelante dit que le but de son appel n’est pas de contester la décision du juge d’accueillir la requête en vérification de l’intimé. Malgré les termes employés dans son inscription en appel, l’appelante n’a pas de reproche à faire à l’endroit du juge qui retient que les divers éléments nécessaires à la demande de vérification sont réunis et elle ne conteste pas le bien-fondé de la conclusion du jugement qui accueille la vérification du testament. Ses arguments portent tous sur la conclusion du juge quant à la validité du testament au fond – plus précisément sa détermination que le testateur était capable de tester à l’époque pertinente et que le consentement qu’il a donné au testament du 5 août 2012 n’était pas vicié. Vu sous cet angle, dit l’appelante, le jugement serait appelable de plein droit.
Deuxièmement, et au cas où la Cour soit de l’avis que son appel requiert néanmoins une permission, l’appelante a présenté à l’audience une demande de bene esse d’interjeter appel nunc pro tunc – c’est-à-dire « maintenant pour alors » – lui permettant de demander la permission même au-delà du délai de six mois prescrit par le Code de procédure civile.
J’estime que, malgré la regrettable confusion de genres dans la rédaction des procédures en défense, le cœur du débat en première instance a porté sur la capacité de tester et la captation, ce qui aurait dû être invoqué par un recours distinct dans un dossier distinct. À ce titre, le jugement est néanmoins et exceptionnellement susceptible d’appel de plein droit.
En proposant cette solution, je suis conscient que, dans d’autres circonstances, la Cour a choisi de traiter la portion d’un jugement en vérification de testament qui porte sur la validité au fond comme un obiter dicta. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, l’enjeu en première instance visait principalement des questions de capacité et de captation, et de traiter le litige comme un simple dossier de vérification dénaturerait le débat qui a eu lieu en première instance. Je tiens compte aussi que, dans les faits, l’appelante cherche à mener sa contestation du jugement en appel sur des questions qui ne se rapportent pas à la vérification du testament6. La Cour a eu l’occasion de rappeler à quelques reprises que l’audition d’une requête en vérification n’est pas normalement l’occasion de se prononcer sur la capacité du testateur7. Cependant, dans les circonstances inhabituelles déjà mentionnées, la véritable nature de la contestation liée en l’espèce me semble être un différend sur la validité au fond du testament fait devant témoins.
En l’espèce, le pourvoi devrait être traité comme s’il était donc régulièrement formé. Dans les circonstances, la requête verbale nunc pro tunc est devenue sans objet puisqu’elle n’est pas nécessaire pour saisir la Cour du dossier en appel.
La capacité de tester
À bon droit, l’appelante ne conteste pas la justesse de l’énoncé par le juge des principes juridiques applicables pour établir la capacité de tester. En effet, le juge rappelle que, selon les enseignements de cette Cour8, le fardeau de prouver l’incapacité incombe à celui ou celle qui demande la nullité du testament, puisque chacun est présumé sain d’esprit. L’appelante a réussi, au stade initial, à mettre cette présomption à l’épreuve en démontrant, prima facie, l’existence d’un état habituel d’aliénation ou de faiblesse d’esprit chez M. Gagnon au moment de la confection du testament. Le fardeau s’est alors déplacé sur l’intimé, qui devait démontrer que M. Gagnon était capable de tester quand il a signé le testament. 6 Dans ce sens, on peut rapprocher l’affaire de Pépin, ibid., paragr. [28] et seq. 7
Comme je l’ai noté plus haut, le juge conclut que l’intimé a bel et bien renversé ce fardeau en démontrant, à la satisfaction du tribunal, que le de cujus avait signé le testament de 2012 au cours « d’un intervalle de lucidité ».
L’appelante s’attaque à cette détermination du juge selon laquelle le défunt avait la capacité de tester – c’est-à-dire qu’il jouissait suffisamment de ses facultés intellectuelles pour comprendre la portée des dispositions testamentaires en question – au moment où il a signé le testament de 2012.
L’appelante ne conteste pas le caractère factuel de ce constat du juge.
À ce titre, la détermination que le testament a été signé pendant une intermittence de raison commande déférence en appel. Contrairement à la Cour, le juge avait l’avantage d’entendre de première main la preuve se rapportant à la capacité, tant des experts que des témoins ordinaires. Dans Paré c. Paré9, on rappelle que seule une erreur manifeste et déterminante peut justifier l’intervention en pareille matière :
Pour infirmer le jugement de première instance sur la question de fait qui est au cœur du litige, c’est-à-dire sur la capacité ou l’incapacité mentale de la testatrice, il faudrait considérer qu’une preuve, susceptible d’engendrer en appel le constat d’une erreur manifeste et dominante parce qu’elle a été clairement ignorée ou mal comprise par le juge de première instance, contredit sur un point suffisamment important les témoins de la défense. […] L’appel n’étant pas une occasion de recommencer le procès, il ne saurait suffire, en présence de tels témoignages, de réitérer avec insistance la teneur générale de la preuve au soutien de la demande pour réfuter les conclusions de fait que le juge de première instance a tirée en faveur de la défense.
Notons aussi qu’il appartient à l’appelante de montrer du doigt l’erreur justifiant l’intervention de la Cour10. Elle soutient que le juge a commis trois erreurs en l’espèce : il se serait mépris dans l’évaluation de la preuve d’expert; il se serait trompé dans l’appréciation de la preuve offerte par les témoins ordinaires; et, finalement, il aurait erré en concluant que la teneur du testament de 2012 était raisonnable dans les circonstances. Ces moyens doivent être scrutés à tour de rôle.
La preuve d’expert quant à la capacité de tester
L’appelante soutient d’abord que le juge avait tort de se fier à l’expert de l’intimé, le Dr Gagné, puisque son rapport a été préparé non pas pour évaluer la capacité de tester de M. Gagnon en 2012, mais plutôt dans l’optique de voir si, en 2010, il aurait été en mesure d’exécuter un mandat en cas d’inaptitude.
Il semble en effet que le but initial de la première consultation avec le Dr Gagné, en date du 12 juillet 2012, était d’obtenir un rapport médical permettant de valider, au besoin, l’aptitude de M. Gagnon, rétrospectivement, en regard du nouveau mandat daté de 2010, mandat que, rappelons-le, le juge estime être un faux.
Il est vrai que le Dr Gagné mentionne le mandat en cas d’inaptitude de 2010 dans son rapport, même à quelques reprises, et que, lors de son interrogatoire, l’expert reconnaît lui-même que son examen de M. Gagnon visait l’évaluation de son état d’esprit en 2010. De plus, même si le Dr Gagné a aussi rencontré le défunt le 1er août 2012, quelques jours avant la confection du testament litigieux, cette deuxième consultation a été surtout organisée pour mesurer l’état de dangerosité du patient. Il est vrai, aussi, que le juge ne fait pas mention des objectifs premiers des deux consultations de M. Gagnon auprès du Dr Gagné dans ses motifs.
Malgré le but initial des consultations et le fait que le juge n’en fait pas mention, je ne vois pas le choix de préférer l’opinion de l’expert Gagné aux experts de l’appelante comme une erreur révisable pour autant.
On notera d’abord que, dans son rapport daté du 26 juillet 2012, le Dr Gagné a déclaré explicitement que le de cujus était « apte à donner ou léguer son argent à qui bon lui semble ». L’expert confirme cette même conclusion au procès.
Le Dr Gagné a par ailleurs clairement exposé au juge son avis que le but premier de ses consultations ne l’empêchait pas de formuler une opinion sur la capacité de tester du défunt11. Quand on tient compte de l’ensemble du rapport du Dr Gagné ainsi que de son témoignage, il est évident que ses propos portaient non seulement sur une évaluation de l’aptitude de M. Gagnon en 2010, mais aussi sur l’état général de santé de ce dernier au moment des consultations à l’été 2012. Les motifs du juge font amplement référence aux conclusions du Dr Gagné qui sont pertinentes à la capacité de tester à cette époque. Cela permettait au juge d’insister, sans commettre d’erreur, sur la proximité temporelle des consultations de cet expert en fonction de la date de la signature du testament. Les consultations menées par les docteurs Bocti et Deacon, quant à elles, étaient plus éloignées dans le temps.
On peut dire la même chose concernant le rapport de la travailleuse sociale Maryse Roy, daté du 12 août 2012. Si son rapport mentionne le mandat supposément signé en 2010, il porte plus généralement sur l’état psychosocial du défunt à l’époque où le testament a été signé. Au procès, le Dr Gagné affirme notamment ceci : […] c’est sûr que quand je l’ai vu au mois de juillet c’était pas ça que j’avais à l’esprit, on me demandait pas à ce que monsieur est apte à faire un testament, avec du recul comme je l’ai vu dans le passé c’est pour une raison parallèle, je crois que j’ai acquis assez de connaissance de lui à ce moment-là pour dire qu’à mon point de vue monsieur était capable de faire un testament.
Par conséquent, l’omission du juge de souligner la nature du mandat confié aux experts de l’intimé ne suffit pas à satisfaire la norme exigeante de l’erreur manifeste et déterminante.
L’appelante critique aussi divers aspects de l’expertise du Dr Gagné.
Elle est d’avis notamment que sa méthodologie, contrairement à celle employée par le Dr Bocti, se limitait aux tests cognitifs de mémoire, tests qui n’étaient pas adaptés pour mesurer le supposé manque de jugement du défunt. L’appelante note que le juge ne relève pas cette faille dans son appréciation de l’expertise du Dr Gagné.
J’estime que cette omission du juge ne porte pas à conséquence.
Le Dr Gagné avait en sa possession le dossier médical de M. Gagnon, y compris l’évaluation neurologique du Dr Bocti, avant de conclure à la capacité de tester du défunt. Devant le juge, le Dr Gagné a longuement expliqué comment, en tenant compte de l’opinion des autres médecins, il est néanmoins arrivé à la conclusion que M. Gagnon était capable, au moment du testament de 2012, de léguer ses biens, notamment du fait qu’il connaissait, avec « assez de précision », l’étendue de ses actifs. Selon l’expert, il avait aussi « une connaissance très adéquate des personnes dans son entourage, des personnes qu’on peut s’attendre d’une personne va nommer comme héritier ou héritière », et semblait capable de « mesurer l’effet d’un testament ». Ces éléments sont de l’essence d’une évaluation de la volonté de tester et soutiennent la théorie de l’intervalle de lucidité.
Le juge a bien mis l’avis du Dr Gagné en contexte, en soulignant que ce dernier était au fait de l’évaluation neurologique du Dr Bocti, comme on peut voir aux paragraphes [24], [25], [65] et [66] du jugement. Il n’y a ici aucune erreur révisable.
Quant aux autres critiques formulées à l’endroit de l’expertise du Dr Gagné, rien ne nous laisse croire à la démonstration d’une erreur révisable. Il aurait été souhaitable, certes, que le Dr Gagné rencontre l’appelante et Marie-Ève Gagnon pour avoir un portrait complet de l’historique du dossier. Toutefois, plusieurs informations rapportées par Mme Larocque sont consignées dans le dossier médical du défunt dont disposait le Dr Gagné à l’époque. Si, comme le soutient l’appelante, le Dr Bocti avait une expertise en neurologie plus adaptée que celle de l’expert de l’intimé à évaluer la capacité de tester, le juge avait néanmoins cette information en main. Quant au Dr Deacon, celui-ci connaissait certes très bien M. Gagnon, l’ayant reçu comme patient à diverses reprises entre 2008 et 2011, mais il n’en demeure pas moins que l’expertise du Dr Gagné se révèle plus contemporaine de l’époque du testament. En fait, toutes ces considérations étaient connues du premier juge et la mesure de leur pertinence relève de son pouvoir souverain d’appréciation de la preuve. Faute de démonstration d’une erreur manifeste et déterminante, les prétentions de l’appelante ne sont pas suffisantes pour conclure que le juge devait accorder une valeur probante moindre à l’expertise du docteur Gagné, encore moins qu’il devait l’écarter.
Qu’en est-il des critiques apportées par l’appelante à l’endroit de l’expertise de la travailleuse sociale Roy?
L’appelante reprend avec force les arguments présentés au premier juge selon lesquels l’expertise de la travailleuse sociale Roy était truffée de contradictions et de carences méthodologiques et qu’elle devait donc être écartée.
Or, tout en reconnaissant que les prétentions de l’appelante ne sont pas entièrement sans fondement, le juge rejette ses moyens. Il est d’avis que l’expertise offerte par Mme Roy présente une plus grande force probante que celle de la travailleuse sociale Côté, plus éloignée dans le temps, « qui a rencontré le de cujus pendant une vingtaine de minutes et qui a rédigé son rapport sur la foi de renseignements provenant de tiers » (paragr. [71]). L’appel n’est pas une occasion de refaire le procès sur ce point et, puisque l’appelante ne pointe aucune erreur manifeste et déterminante, ce moyen doit être rejeté.
Par ailleurs, l’appelante soutient que le premier juge s’est mépris en préférant, sans motifs suffisants, l’opinion de la travailleuse sociale Roy aux trois expertises médicales au dossier.
L’appelante se trompe.
D’abord, en plaidant que le Dr Gagné était fondamentalement d’accord avec l’avis des autres médecins, l’appelante donne un portrait incomplet de l’opinion de cet expert. Tout en exprimant ce que le juge qualifie de « bémols », le Dr Gagné se dit d’avis que le défunt avait la capacité de comprendre et de signer un testament le 5 août 2012. Le juge ne fonde donc pas sa conclusion exclusivement sur l’expertise de Mme Roy, mais tient compte aussi de l’opinion concordante du Dr Gagné.
De plus, et contrairement à ce que plaide l’appelante, les opinions des docteurs Bocti et Deacon n’ont pas été complètement écartées au motif qu’elles étaient moins contemporaines du testament. Le juge a pris en compte ces opinions, notamment à l’appui de sa conclusion préliminaire selon laquelle Mme Larocque a apporté une preuve prima facie d’incapacité (paragr. [54] à [56]). Cela dit, il n’était pas déraisonnable pour le juge de tenir compte du fait que les consultations des experts de l’intimé ont été plus rapprochées dans le temps de la confection du testament que celles des experts de l’appelante. L’article 707 C.c.Q. accorde à ce facteur une importance incontestée dans l’exercice d’évaluation de la capacité de tester et rien ne fait voir que le juge s’est mépris sur ce point, loin de là.
Même si les diverses expertises au dossier n’étaient pas parfaites ou sans nuances – le juge le note lui-même – j’estime que l’appelante n’a pas relevé une erreur dans le traitement de cette preuve permettant à la Cour de réformer le jugement.
La preuve des témoins ordinaires quant à la capacité de tester
L’appelante soutient que le juge s’est mépris en accordant une quelconque valeur probante au témoignage de Daniel Gagnon et à celui de Sonia Gagnon dans son appréciation de la capacité de tester de leur père. Le juge aurait dû écarter cette preuve compte tenu de leur comportement répréhensible et de leur animosité envers elle. Dans les circonstances, le juge avait tort de prêter foi à ces témoignages sur la simple base du critère de la contemporanéité avec le testament litigieux.
Encore ici, l’appelante ne fait pas voir d’erreur révisable.
Le juge reprend en détail le témoignage de Mme Larocque et celui de Marie-Ève Gagnon, d’une part, et ceux de Daniel et Sonia Gagnon d’autre part. Il ne fait pas abstraction de l’animosité qui peut exister entre certaines parties. Il mentionne aussi expressément la conduite blâmable des intimés en lien avec le mandat de 2010 et l’organisation des funérailles de M. Gagnon. Le juge a soupesé cette preuve, soulignant que « dans cette affaire, tout n’est pas blanc ou noir », et l’appelante a tort de dire que ces éléments ont été occultés. Rappelons, de toute façon, que ce n’est pas la preuve des témoins ordinaires en elle-même qui a été déterminante pour le juge en l’espèce, celui-ci s’appuyant, au paragraphe [64], largement sur la preuve d’experts au dossier pour trancher la question de la capacité de tester.
Le caractère raisonnable du testament de 2012
Le juge fait l’analyse des dispositions testamentaires et conclut qu’elles ne sont pas déraisonnables. Il y voit un élément qui confirme la capacité de tester de M. Gagnon à l’époque.
Selon l’appelante, le juge a erré en prêtant une valeur prépondérante au caractère raisonnable du testament. Elle estime que les dispositions testamentaires contredisent les volontés du de cujus de vouloir traiter sa conjointe Mme Larocque équitablement, tel qu’il a été rapporté par la travailleuse sociale Maryse Roy au procès.
Cet argument ne saurait être retenu.
À l’époque du testament de 2012, M. Gagnon et Mme Larocque – conjoints depuis environ 35 ans – étaient séparés depuis un peu plus de deux mois. Dans l’acte dressé pour lui par son fils, M. Gagnon écarte Mme Larocque comme légataire universelle résiduaire et comme liquidatrice. Il s’agit certes d’un changement de taille par rapport au testament notarié et au codicille de 2008. Comme je l’ai noté plus haut, les légataires à titre universel aux termes du testament de 2012 sont, par tiers, sa fille Sonia, issue de sa première union, sa fille Marie-Ève, adoptée par lui et Mme Larocque, et, pour un sixième chacun, les deux enfants de son fils Daniel Gagnon. Anthony Gagnon, le fils de Sonia, reçoit quant à lui un legs particulier d’armes à feu et de bijoux.
Il est vrai que, selon ce que relate la travailleuse sociale, M. Gagnon aurait déclaré ne pas vouloir causer de tort à sa conjointe. Toutefois, ces propos ont été tenus avant la date de l’arrestation du défunt en raison des menaces proférées à l’égard de Mme Larocque. C’est après cet évènement que M. Gagnon a signé son nouveau testament. Ce jeu de dates peut expliquer ce que l’appelante voit comme une incompatibilité entre la déclaration du défunt à Mme Roy avant l’arrestation et la teneur du testament.
Quoi qu’il en soit, l’appelante n’a pas démontré que la conclusion du juge quant au caractère raisonnable des dispositions testamentaires est entachée d’une erreur révisable. Le commentaire rapporté par Mme Roy est loin de constituer un engagement formel de léguer des biens à Mme Larocque; il n’est pas déraisonnable de penser que M. Gagnon, surtout après l’incident de l’arrestation, a décidé d’exclure la conjointe de qui il était maintenant séparé. Par ailleurs, le choix de désigner Marie-Ève, fille de son union avec Mme Larocque, comme légataire à titre universel, indique qu’il était toujours en mesure de se reconnaître un devoir moral envers elle, et ce, malgré sa séparation avec sa mère.
Il convient aussi de noter qu’en 1998, M. Gagnon a fait un testament notarié par lequel il instituait, après des legs particuliers, Marie-Ève, Daniel et Sonia Gagnon comme légataires universels et que, malgré qu’il ait nommé Huguette Larocque comme légataire universelle résiduaire en 2008, il les a néanmoins institués légataires résiduaires advenant le décès de celle-ci.
Le fait de revenir à la désignation des enfants Sonia et Marie-Ève et des enfants de Daniel, comme légataires universels, n’a rien de particulièrement inusité. Le testateur semble agir en fonction d’une appréciation de son devoir moral envers ses enfants qui animait ses dispositions testamentaires en 1998 et en 2008. Le choix d’écarter Mme Larocque serait vraisemblablement la conséquence de la fin de la vie commune. Il n’est pas déraisonnable de penser qu’un testateur s’estime déchargé de son devoir moral envers un conjoint du fait de la fin d’une relation conjugale et choisit ainsi de modifier son testament. On notera que, même en l’absence d’une telle modification, le Code civil prévoit que le divorce ou la dissolution de l’union civile peut être un motif pour la révocation d’un legs (art. 764 C.c.Q.).
On peut comprendre que, après 35 ans de vie commune pendant laquelle Mme Larocque a aidé son conjoint dans ses affaires financières, elle voit l’exhérédation comme une injustice à son endroit. Mais la liberté de tester est ainsi faite. Il est possible que d’autres actions aient pu être intentées par Mme Laroque si elle percevait son exclusion de la succession comme injuste, mais ce n’est pas la question qui était devant le juge. Cette conclusion n’est pas affaiblie du simple fait que M. Gagnon a choisi d’échelonner dans le temps les versements à Marie-Ève compte tenu de son jeune âge.
À mon avis, le juge fait une lecture adéquate du testament, écrivant que le « testament contesté fait […] des gagnants et des perdants », que parmi les perdants « se retrouve principalement la conjointe » (paragr. [80]) et que les « gagnants sont les deux filles du de cujus et les petits-enfants » (paragr. [81]). En somme, les dispositions proposées dans le testament de 2012 ne sont certes pas déraisonnables au point de mettre en doute la capacité de tester de M. Gagnon.
La captation ayant vicié le consentement au testament de 2012
L’appelante présente, comme argument subsidiaire, que le juge s’est mépris en concluant que M. Gagnon n’a pas fait l’objet de manœuvres frauduleuses de la part de l’intimé Daniel Gagnon ou de la mise en cause Sonia Gagnon, au moment où il a signé le testament devant témoins en 2012. Ces manœuvres constitueraient une preuve de captation, c’est-à-dire un vice de consentement qui serait un motif pour demander la nullité du testament en l’espèce.
Rappelant l’état de santé fragile du testateur, l’appelante soutient que l’intimé a profité de la situation en proposant le contenu et en rédigeant lui-même le testament de son père, celui-ci ayant pour but d’écarter injustement l’appelante comme légataire et liquidatrice. L’appelante rappelle aussi le jugement sévère que porte le juge sur le comportement de l’intimé et de la mise en cause en regard de la préparation d’un faux mandat en cas d’inaptitude, signe supplémentaire des manœuvres pratiquées à l’endroit du testateur. Elle ajoute que le juge s’est trompé en écrivant que les témoins à ce testament n’étaient pas des proches du défunt. Le juge aurait, de plus, omis de considérer le rôle actif de l’intimé, de sa sœur Sonia et du témoin, son cousin Robert Masson, dans la confection du testament et, parallèlement, dans la confection et l’utilisation d’un faux mandat en prévision d’inaptitude.
En principe, celui ou celle qui invoque le vice de consentement d’un testament doit en faire la preuve14. En première instance, l’appelante portait le fardeau de démontrer que, par leurs manœuvres dolosives, l’intimé et la mise en cause se sont emparés de la volonté du testateur et que ces gestes ont, de façon déterminante, amené M. Gagnon à signer le testament qu’il n’aurait pas signé autrement. L’évaluation du comportement de l’intimé et de la mise en cause et l’appréciation du caractère déterminant ou non de ce comportement sur le consentement libre et éclairé offert par le défunt sont des questions de fait. D’ordinaire, la déférence s’impose et, en appel, celui qui conteste cette évaluation doit faire état d’une erreur manifeste et déterminante commise par le juge de première instance.
Dans son argumentation en appel, Mme Larocque plaide que le peu de motifs donnés par le juge pour écarter le moyen de ction dispense la Cour de son devoir habituel de réserve sur ces questions de fait. Elle est d’avis que les circonstances entourant la signature du testament auraient dû attirer les soupçons de la Cour supérieure quant à la probabilité, dans les faits, de captation.
Le juge a-t-il commis une erreur révisable en rejetant le moyen de captation?
Il n’y a pas, ici, une preuve directe que l’intimé ou sa sœur aient détourné la volonté du testateur par fraude. Il convient de noter, cependant, que la preuve de captation est souvent difficile à établir. Bien entendu, la victime présumée de la manœuvre n’est plus disponible pour donner sa version des faits. Deuxièmement, comme on peut lire dans Fauteux c. Chartrain, « il est rare que l’auteur des manœuvres employées, qui doit bénéficier de la libéralité, agisse directement ou ouvertement; il préfère, s’il est rusé, prendre des voies obliques et dissimulées qui conduiront plus sûrement et plus discrètement à ses fins »16. Plus encore, le droit des libéralités est traditionnellement plutôt permissif quant à la persuasion, même persistante, que peut exercer une personne sur un donataire ou légataire, tant que celle-ci ne tombe pas dans la fraude : les auteurs français Terré, Lequette et Gaudemet écrivent en effet que l’exigence de dol en matière testamentaire n’est pas satisfaite « lorsqu’il y a eu seulement flatterie des goûts ou des manies du disposant, ou manifestations de dévouement – sincère ou simulé – de nature à susciter l’affection »17.
L’appelante reconnaît la difficulté de prouver la captation, mais elle estime que la situation en l’espèce est particulièrement suggestive du dol. Trois éléments qui militent en faveur d’une telle conclusion sont relevés : la faiblesse de M. Gagnon, le rendant vulnérable à la pression exercée par ses enfants Daniel et Sonia; l’avantage que retire Daniel du testament qu’il a lui-même préparé pour son père; et le comportement supposément répréhensible des enfants dans la confection du « faux » mandat, faisant partie d’un même stratagème pour s’emparer des biens de leur père. Ces faits, dit l’appelante, mènent inéluctablement à une conclusion de captation.
D’abord, il y avait certes une preuve assez forte que M. Gagnon était affaibli par son état de santé au moment de la préparation du testament. Il est entendu que, même si une personne âgée ayant une santé fragile a, en principe, la même liberté de tester que toute personne majeure, elle peut être plus vulnérable que d’autres à une influence indue exercée par des personnes qui cherchent à lui soutirer un avantage. Dans un texte souvent repris en jurisprudence, l’auteur Chateauguay Perrault19 a écrit en 1963 :
[…] Les mots « suggestion et captation » illustrent assez bien de quoi il s’agit : quelqu’un s’empare de la volonté du testateur et lui suggère comment il doit tester. Mais ce qui doit être considéré comme suggestion et captation pourra varier d’un cas à l’autre, selon les circonstances particulières propres à l’affaire soumise. L’âge, l’état de santé, la condition sociale, du testateur pourront avoir joué un rôle quant au degré de résistance qu’il pouvait opposer aux manœuvres dont il était l’objet.
Le législateur québécois donne une importance normative accrue à cette considération à l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui consacre le droit des personnes âgées d’être protégées contre toute forme d’exploitation20. Ce texte n’a pas été formellement invoqué par l’appelante, mais les règles du Code civil en matière successorale doivent être lues, comme la Disposition préliminaire du Code nous le rappelle, « en harmonie / in harmony » avec la Charte. On peut croire que la protection accordée aux personnes âgées serait pertinente à la question de savoir si les règles sur la captation doivent être interprétées pour tenir compte de l’état de santé fragile du donateur ou du testateur21. Une personne âgée de santé fragile ayant, comme M. Gagnon, la capacité de tester conserve certes la faculté de disposer de ses biens par libéralité, mais la protection déjà offerte contre les manœuvres dolosives au Code civil se trouve renforcée, à mon avis, par l’adoption de l’article 48 de la Charte22.
Deuxièmement, M. Gagnon n’a pas confié la préparation de son testament à un notaire, comme il le faisait par le passé; c’est plutôt son fils Daniel qui s’en est chargé. Ce dernier tire avantage, du moins indirectement, des changements consacrés au testament de 2012 par rapport à celui de 2008 puisque ses enfants sont désignés parmi les légataires à titre universel. Rappelons que, selon le testament notarié et le codicille de 2008, Daniel et sa sœur ont été pratiquement exclus de la succession de leur père.
Troisièmement, selon l’appréciation des faits du juge, Daniel et Sonia « se sont mal conduits » peu avant la mort de leur père. Le juge est d’avis qu’ils ont tenté de faire croire que M. Gagnon avait signé un mandat en cas d’inaptitude en 2010, alors que, en réalité, le document a été signé en 2012. Cet effort, semble-t-il, visait à bloquer la démarche entamée par Mme Larocque de faire homologuer le mandat d’inaptitude signé par M. Gagnon en 2008. Il convient de noter que l’intimé, dans son mémoire d’appel, conteste l’évaluation des faits par le juge et plaide – sans pour autant développer son argumentation sur ce point – que le mandat a été signé en 2010 et non en 2012. Cela dit, on se rappelle que le juge se permet d’exposer le fond de sa pensée sur ce point, écrivant que le comportement des enfants à ce chapitre constitue, peut-être, un acte criminel.
Quatrièmement, Robert Masson, un des témoins qui a attesté le « faux mandat » et le testament de 2012, est un parent de l’intimé et de sa sœur. Le juge écrit, probablement à tort, que les deux témoins « n’étaient pas des proches du de cujus »23. Or, il est admis que M. Masson est un cousin de la famille. Cela n’invalide certes pas le testament, mais l’appelante y voit une nouvelle circonstance suspecte qui laisse croire à des manœuvres effectuées pour inciter M. Gagnon à signer les deux documents sans pour autant en comprendre pleinement la portée.
Devant la Cour, l’appelante a plaidé que l’ensemble de ces circonstances auraient dû amener le juge à conclure à la captation, par présomption ou autrement, et que, devant l’absence de motifs dans le jugement, la Cour se doit d’infirmer sa conclusion que la captation n’a pas été prouvée. Elle note aussi que l’intimé n’apporte pas de preuve pour contrer ces apparences douteuses, se contentant de dire que la question de fait a été réglée par le premier juge.
La Cour doit-elle inférer de cet ensemble de circonstances, et devant les motifs peu fournis de la Cour supérieure, que le consentement de M. Gagnon au testament de 2012 a été vicié par captation?
Il est vrai, comme la doctrine le souligne, que le fardeau de cette preuve, qui incombe à celui qui invoque la captation, se fait à l’aide de présomptions de fait, susceptibles d’être repoussées par une preuve contraire24. Ici, le juge n’en tire aucune.
De plus, on s’accorde généralement, sur la base des explications du juge Beetz dans l’arrêt Stoneham, sur le fait que la jurisprudence n’admet pas de déplacement du fardeau de la preuve en matière de captation25. Dans cette affaire, la Cour suprême rejette l’application en droit québécois d’un principe issu de la jurisprudence anglaise, la doctrine of righteousness, parfois qualifiée de théorie des circonstances suspectes26. Bien qu’on puisse se demander si le refus de transposer la présomption du droit anglais en matière de circonstances suspectes notée dans Stoneham – un arrêt décidé sous le Code civil du Bas Canada et pour lequel l’article 48 de la Charte ne s’appliquait pas – devrait être revu par la Cour, j’estime que la preuve au dossier ne nécessite pas de trouver réponse à cette question.
À mon avis, la preuve ne permet pas par ailleurs de conclure à une présomption de fait grave, précise et concordante à l’appui du moyen de captation en l’espèce.
Même si le juge ne le cite pas expressément, il y avait une preuve au dossier qui tend à confirmer que M. Gagnon ne faisait pas l’objet de manœuvres dolosives de la part de ses enfants et que, au contraire, il était bien au courant des circonstances menant à la confection du nouveau mandat.
Plus précisément, dans son exposé des faits portant sur la mauvaise conduite des enfants, le juge cite le témoignage de M. Germain Duval, un des témoins au nouveau mandat, qui a affirmé à l’audience que le document avait été antidaté. Pour le juge, M. Duval est un témoin crédible qui n’a pas été contredit sur ce point.
En 2012, M. Gagnon aurait contacté son ancien collègue de travail M. Duval et ils se seraient donné rendez-vous dans un garage avec Sonia. À son arrivée, Sonia aurait sorti « un papier » – identifié comme le nouveau mandat d’inaptitude – et aurait demandé à M. Duval, en présence de son père, de le signer, en lui disant « C’est … c’est pour … parce que Huguette [Larocque] veut nous enlever notre héritage ».
M. Duval est alors prêt à le signer, mais il note que le document est daté de 2010. Sur ce point, M. Duval témoigne ainsi :
R. […] Fait que là j’ai signé, mais là j’ai vu le …
Elle [Sonia Gagnon] dit :
« Le papier est daté deux mille dix (2010). »
Mais j’ai dit :
« Pourquoi qu’y est daté de deux mille dix (2010), tu me fait signer en deux mille douze (2012)? C’est quoi la joke? »
Fait que là elle dit :
« Non, non … »
Mais elle dit … Là Marcel [Gagnon] y a pris la réponse :
« T’auras pas de problèmes, fais-toi en pas. »
Y dit :
« Tu n’auras pas de problèmes. »
Q. Ça c’est Marcel [Gagnon] qui vous dit ça?
R. Oui.
De cet échange, on comprend bien que, selon le récit de M. Duval, M. Gagnon était au courant du projet de préparer un nouveau mandat portant une date « fictive » et qu’il comprenait, aussi, que l’objectif était d’évincer Huguette Larocque comme mandataire en cas d’inaptitude.
Sa complicité dans ce volet de l’affaire laisse fortement croire que personne ne s’est emparé de sa volonté au moment où il a signé le testament de 2012. Cette preuve tend à confirmer que M. Gagnon n’a pas été victime de manœuvres frauduleuses, mais plutôt que ses enfants Daniel et Sonia agissaient de concert avec leur père.
Dans les circonstances, la substitution des enfants et des petits-enfants de M. Gagnon à la place de Mme Larocque s’explique. On peut raisonnablement croire que M. Gagnon, de façon libre et éclairée, a choisi, en même temps, de remplacer Mme Larocque comme mandataire et de l’exclure de son testament. Ayant le sentiment que sa notaire n’accepterait pas de faire ces changements sans une preuve médicale de son aptitude, il décide de le faire directement, à l’aide de ses enfants, en utilisant un formulaire de mandat en cas d’inaptitude et en demandant à son fils de l’assister dans la préparation d’un nouveau testament devant témoins. On demande alors à des personnes que l’on croit sûres et discrètes – le cousin, Robert Masson, et à une veille connaissance, M. Duval – pour agir à titre de témoins.
Il est important de noter, de plus, que M. Gagnon avantage non seulement sa fille Sonia et les enfants de Daniel, mais aussi Marie-Ève, la fille adoptive issue de son union avec Mme Larocque. Ce fait milite en faveur du rejet des allégations de captation.
Au final, même si des circonstances pouvaient, à première vue, laisser croire que M. Gagnon a fait l’objet d’une manipulation, la preuve confirme la conclusion du juge en tous points : les enfants Daniel et Sonia se sont peut-être mal conduits en regard de la confection du nouveau mandat – je m’abstiens de prendre position sur ce fait – mais leur père était d’accord avec le projet de modifier le mandat en cas d’inaptitude et son testament.
Il y a lieu de noter, par ailleurs, que M. Gagnon avait, dans les semaines précédant la rédaction du testament en litige, appelé la notaire Charron pour lui demander personnellement des modifications à son mandat en prévision d’inaptitude. De même, il ressort du témoignage de l’avocate Évelyne Gagnon que c’est elle, et non Daniel ou Sonia Gagnon, qui aurait initialement suggéré à M. Gagnon, dès le mois de juin, de modifier ses dernières volontés au vu des développements des derniers mois. En ce sens, le choix du défunt de déshériter Mme Larocque pourrait bien être compris comme s’inscrivant simplement dans la continuité de la séparation du couple au mois de juin. Cela est sans compter que la rédaction du testament en question survient tout juste après l’arrestation de M. Gagnon, à la fin du mois de juillet 2012, des suites de la plainte de Mme Larocque à la police. Comme je l’ai souligné plus haut, il n’est pas déraisonnable de penser que cet évènement marquait, aux yeux du testateur, la fin de son devoir moral envers sa conjointe avec qui il est déjà séparé depuis quelques mois28. C’est à la suite de cette arrestation que M. Gagnon communique avec son fils Daniel pour lui demander de lui faire un nouveau testament. Le testament sera rédigé quelques jours plus tard.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la conclusion du juge quant à l’absence de captation doit, à mon avis, être confirmée. La preuve laisse croire, de manière prépondérante, que le consentement au testament donné par M. Gagnon n’était pas, en l’espèce, vicié.
Je prends bonne note que le juge a choisi d’exercer son pouvoir discrétionnaire en n’accordant pas de dépens pour les motifs exposés précédemment exposés. À l’audience en appel, l’intimé renonce aux frais de justice au cas où il aurait gain de cause.
[119] Au final, je propose de rejeter l’appel, sans frais de justice.
NICHOLAS KASIRER, J.C.A.
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