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Immobilier, contre-lettre et fiscalité

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Lors de l’acquisition d’une résidence par un particulier (habituellement un enfant) ayant un dossier de crédit insatisfaisant, le parent de l’enfant acquéreur peut intervenir afin de régulariser le financement. Le parent peut donc acquérir ou devenir copropriétaire ladite résidence.

Sur le plan fiscal, cette situation aura des répercussions négatives pour le parent acquéreur lors de la disposition de son droit de propriété, et ce, peu importe que cette disposition soit faite, au profit de son enfant[1] ou d’un tiers avec lequel il n’a aucun lien de dépendance.[2]

Dans un tel scénario, la résidence acquise ne pourrait être « désignée » comme « résidence principale » au sens de la définition de cette expression contenue à l’article 54 de la Loi de l’impôt sur le revenu (ci-après : « LIR »), car le parent désigne habituellement sa propre résidence comme « résidence principale ». Par conséquent, la disposition ultérieure par le parent de son droit de propriété représentera pour lui un gain en capital[3] lequel, devra être inclus à raison de 50%[4] dans le calcul de son revenu imposable.[5]

Afin d’éviter cet inconvénient fiscal, il serait opportun de rédiger une contre-lettre entre le parent et l’enfant. Cette dernière relaterait que le parent comparait à l’acte de vente à titre d’acheteur dans le seul but de satisfaire aux exigences des critères de qualification d’un financement hypothécaire. En somme, le parent y reconnaitrait ne détenir aucun réel droit de propriété sur l’immeuble. De plus, les pouvoirs, droits et obligations du parent pendant la durée de son mandat y seraient clairement circonscrits, notamment, les modalités du pouvoir d’aliénation.

La notion de prête-nom est un croisement entre la contre-lettre[6] et le mandat.[7] La contre lettre, parce qu’il y a un acte de vente et un contrat secret qui contredit en partie l’acte de vente. Le mandat, parce que le prête-nom représente une personne dans l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers qui est alors fondé à croire que le mandataire contracte en son nom personnel et pour ses propres intérêts.

L’affaire Victuni[8] « prononcé[e] par la Cour suprême en 1980 est considéré comme la pierre angulaire en matière de transaction simulée » 10. En effet, cet arrêt a, d’une part, reconnu l’opposabilité de la contre-lettre aux autorités fiscales et, d’autre part, introduit l’obligation pour le mandataire « de faire connaitre au fisc ce qu’il perçoit pour le compte de son mandant ».

Revenu Québec reconnait le contrat de prête-nom si des preuves satisfaisantes lui sont fournies.[9] À cet effet, le Formulaire TP-1079.PN – Divulgation d’un contrat de prête-nom doit être transmis à Revenu Québec avant le 90e jour suivant la date de conclusion du contrat de prête-nom.

De surcroit, Revenu Québec indique confirme qu’une remise de l’immeuble au mandant (l’enfant) par le mandataire (le parent) n’implique aucune aliénation pour le mandataire et donc, aucun gain en capital imposable pour ce dernier.

Pour sa part, l’Agence du Revenu du Canada (ci-après : « ARC ») reconnait le contrat de prête-nom dans un scénario semblable à celui précédemment évoqué;[10] le tout demeurant toujours une question de faits. Quant aux faits considérés pertinents par l’ARC, il faut se référer à la notion de « propriété bénéficiaire » issue de la common law, laquelle est utilisée par l’ARC en matière de prête-nom. Cette notion sert à décrire le type de propriété d’une personne qui a droit à l’usage et aux avantages d’un bien, que cette personne jouisse ou non d’un droit simultané de propriété juridique.[11]

L’ARC précise que pour déterminer si une personne détient une propriété bénéficiaire, il faut tenir compte de facteurs comme le droit de possession, le droit de toucher des loyers, le droit d’hypothéquer le bien, le droit d’en transférer le titre par vente ou par testament, l’obligation de le réparer, l’obligation de payer des impôts fonciers, ainsi que d’autres obligations et droits pertinents. Il n’est pas nécessaire que tous ces critères de propriété soient réunis pour que l’on puisse conclure qu’une personne est propriétaire bénéficiaire du bien, ce qui est une question de fait dans chaque cas particulier.[12]

 De plus, dans le cas spécifique où le parent remet la propriété à l’enfant qui est « propriétaire bénéficiaire », l’ARC, reposant sur la LIR, est d’avis qu’il n’y aurait aucune « disposition » et par conséquent, aucun gain en capital pour le parent.[13] En effet, sous la LIR, tout transfert de bien qui n’a pas pour effet de changer la propriété effective du bien ne constitue pas une disposition de bien.[14]

Aucune règle ni formulaire n’existe au niveau fédéral concernant la divulgation obligatoire des contrats de prête-nom auprès de l’Agence du revenu du Canada. Toutefois, afin que le contrat de prête-nom puisse être opposable à l’Agence du revenu du Canada, il est recommandé de joindre une simple lettre (calquée sur le Formulaire de Revenu Québec) à la déclaration de revenus annuelle des contribuables qui en sont parties, et ce, lors de la première déclaration suivant la date de signature du contrat de prête-nom.


[1] Loi de l’impôt sur le revenu, art. 69 (1)

[2] Loi de l’impôt sur le revenu, art. 251 (1)

[3] Loi de l’impôt sur le revenu, art. 39 (1) a)

[4] Loi de l’impôt sur le revenu, art. 38 a)

[5] Loi de l’impôt sur le revenu, art. 3b) (i) (A)

[6] Code civil du Québec, art. 1451 et 1452

[7] Code civil du Québec, art. 2130 et ss.

[8] 9 Victuni c. Ministre du Revenu du Québec, [1980] 1 RCS 580

[9] Revenu Québec, Bulletin d’interprétation IMP. 80-7/R1, « Contrat de prête-nom » (29 juin 2007)

[10] Table ronde sur la fiscalité des stratégies financières, Congrès 2009, APFF 2010, Q.21

[11] ARC, Bulletin d’interprétation IT-437R, Propriété d’un bien (résidence principale). 21 février 1994

[12] ARC, Bulletin d’interprétation IT-437R, Propriété d’un bien (résidence principale), 21 février 1994

[13] ARC, Interprétation technique 2005-0152011E5, « Transfer of title to joint ownership with child » (6 juillet 2006) (CCH, Tax Window Files).

[14] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e sup.), c. 1, par. 248 (1).

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