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La responsabilité du fabricant, du distributeur et du fournisseur

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La responsabilité du fabricant, du distributeur et du fournisseur

a) Le dédoublement des fondements de la responsabilité (art. 1458, al. 2 C.c.Q.)

Le nouveau Code civil du Québec met au point, non pas un, mais deux régimes distincts de responsabilité du fabricant, du fournisseur (vendeur ou autre) et des intermédiaires dans la chaîne de distribution. Ceux-ci doivent répondre de leur responsabilité extracontractuelle lors de poursuites intentées par un « tiers » non contractant et de leur responsabilité contractuelle lorsqu’il s’agit d’un contractant (acheteur ou autre). Ces deux régimes de responsabilité sont fort différents et l’article 1458, al. 2 C.c.Q. opère entre eux un cloisonnement relativement étanche lorsqu’il déclare que les cocontractants « ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables ».

L’application de cette règle soulève encore des questions. Notamment, on peut s’interroger sur la possibilité d’imposer le régime contractuel au sous-acquéreur d’un bien qui dispose de droits contractuels contre le fabricant ou le vendeur professionnel, soit en vertu d’un recours direct (art. 1730 C.c.Q. ou 53 L.p.c.) ou encore de la transmission accessoire au bien de son auteur (art. 1442 C.c.Q.). Il nous apparaît néanmoins préférable, à cet égard, de respecter la lettre de l’article 1458, al. 2 C.c.Q., qui limite la prohibition aux parties au contrat. Dès lors, la victime sous-contractante disposerait d’une faculté de choix entre les régimes contractuel et extracontractuel en matière de sécurité des produits.

b) Les règles de la responsabilité extracontractuelle relatives au défaut de sécurité du bien

Les règles de la responsabilité extracontractuelle qui sont opposables au fabricant, au distributeur et au fournisseur se trouvent principalement aux articles 1468, 1469 et 1473 C.c.Q.

1) L’objet de la responsabilité : le bien meuble

La notion de « bien meuble » utilisée par le Code civil à l’article 1468 est très large. Il peut s’agir de tout bien destiné à un usage industriel, commercial ou professionnel, ou encore à une utilisation familiale, domestique ou personnelle. La finalité recherchée lors la fabrication du bien ou de sa mise en marché n’a ici aucune importance. Tous les biens meubles qui sont l’objet d’une fabrication sont visés par la loi.

L’article 1468 C.c.Q. précise que le fait pour un tel bien de devenir partie intégrante d’un immeuble, comme c’est le cas, par exemple, pour l’ascenseur, la baie vitrée d’un grand magasin, la chaudière d’un système de chauffage ou le système de climatisation d’un immeuble, ne modifie pas la responsabilité du fabricant, du distributeur ou du fournisseur de ce bien meuble. Les biens visés ici ne sont pas seulement ceux qui sont placés dans l’immeuble pour son service ou son exploitation, mais également ceux qui y sont incorporés et qui le constituent de façon permanente comme c’est le cas pour les briques et les poutres en acier. Il est donc prévisible que, dans de tels cas, la responsabilité du fabricant et des autres acteurs dans la chaîne de distribution du produit côtoiera souvent la responsabilité du propriétaire d’un immeuble à raison de la ruine partielle de celui-ci ou la responsabilité du gardien pour le fait autonome du bien défectueux.

2) Les sujets de la responsabilité : fabricants, distributeurs et fournisseurs

Le nouveau régime de responsabilité extracontractuelle du fait des produits vise à la fois le fabricant (art. 1468, al. 1 C.c.Q.) et les autres acteurs de la chaîne de distribution (art. 1468, al. 2 C.c.Q.).

Le fabricant est celui qui transforme une matière première et organise les composantes d’un produit en vue d’en faire un bien meuble utilisable ou une partie de celui-ci. Il s’agit de tout participant au processus de fabrication d’un bien. Les biens meubles visés par l’article 1468 C.c.Q. sont ceux qui sont transformés, donc fabriqués. La notion de fabricant n’englobe pas celle de producteur de matières premières, de produits agricoles, de produits de la pêche ou de la chasse, à moins que ceux-ci n’aient été transformés de façon suffisamment importante.

Les fournisseurs, qu’ils soient grossistes ou détaillants, sont également visés par ce régime. Un fournisseur est une personne qui, comme son nom l’indique, fournit un produit mis sur le marché, sur une base professionnelle. L’exemple typique d’un fournisseur serait celui du vendeur professionnel. Le régime de responsabilité du fait des produits ne se limite toutefois pas au seul cas du vendeur. Il peut aussi s’agir, selon les circonstances, d’une personne qui fournit le bien à titre de locateur, de prêteur, etc. Le domaine d’application du second alinéa de l’article 1468 C.c.Q. est donc très large. On vise même l’importateur, s’il s’identifie au produit. En fait, seuls le distributeur qui agit à titre de simple intermédiaire sans s’identifier au produit (tel un courtier, art. 1468, al. 2 C.c.Q.) et le fournisseur non professionnel (tel le particulier qui vend le plus souvent un bien usagé) sont écartés de l’application de ce régime.
Le législateur a considéré que l’imposition de la responsabilité extracontractuelle des fabricants à tous les fournisseurs professionnels d’un bien meuble s’imposait pour assurer la protection des droits des victimes, lesquelles risquaient autrement de se retrouver sans véritables moyens de retracer le fabricant du bien, surtout lorsque ce dernier agit sous le couvert de l’anonymat ou fabrique ses produits à l’étranger.

3) Le fait générateur de la responsabilité : le défaut de sécurité

L’article 1469 C.c.Q. définit le défaut de sécurité en référant à la « sécurité à laquelle on est normalement en droit de s’attendre ». Le défaut de sécurité du bien meuble doit s’apprécier par rapport à l’utilisation normale du bien et au degré de connaissance, à l’habileté et aux habitudes que l’on doit normalement attendre de ses utilisateurs. Le bien doit être placé dans son contexte normal d’utilisation. Le tribunal devra s’interroger sur différents aspects liés au bien et à son utilisation :
– si ce bien, de par sa nature même, est dangereux ou inoffensif;
– s’il s’agit d’un bien qui ne doit être utilisé que par des utilisateurs formés ou avertis, ou encore par le grand public (notamment, dans certains cas, par des enfants);
– si le danger qui caractérise ce bien est clair et visible ou, au contraire, caché et sournois;

– etc.

Afin d’illustrer ce que représente un défaut de sécurité, le législateur mentionne d’abord, à l’article 1469 C.c.Q., des défectuosités proprement dites : le vice de conception ou de fabrication du bien, ainsi que la mauvaise conservation ou présentation du bien. À cet égard, la notion de défaut de sécurité ne s’éloigne pas considérablement de la notion de vice caché employée dans le contexte contractuel. Il est donc permis, dans une large mesure, de s’inspirer de la notion de vice développée par la jurisprudence en application des dispositions du droit commun de la vente ou dans le contexte de la Loi sur la protection du consommateur, du moins lorsqu’il est question d’un vice dangereux.

Le dernier membre de l’article 1469 C.c.Q. laisse bien voir que la notion de « défaut de sécurité » vise également l’obligation d’informer examinée précédemment et qui était déjà imposée aux fabricants dans le droit antérieur. Il ne fait pas de doute que le devoir d’information demeure applicable depuis l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, mais il se décline désormais en fonction des différents régimes de responsabilité en place. Ainsi, il convient de tenir compte de l’article 1458, al. 2 C.c.Q., qui met fin à la faculté de choix reconnue à la victime par l’arrêt Wabasso quant au régime applicable et impose, entre cocontractants, la préséance du régime contractuel lorsque le préjudice causé par le produit résulte de l’inexécution d’une obligation contractuelle. Dans le domaine extracontractuel, l’« absence d’indications suffisantes quant aux risques et dangers [que le produit comporte] ou quant aux moyens de s’en prémunir » est assimilée à un défaut de sécurité (art. 1469 C.c.Q.) et permet l’application d’un régime de responsabilité objective (art. 1468 C.c.Q.).

La victime peut aussi, en vertu du régime général de la responsabilité extracontractuelle, invoquer la responsabilité pour faute (art. 1457 C.c.Q.), si elle est en mesure de faire la preuve requise, en vertu de ce régime de responsabilité subjective, d’une imprudence ou d’un acte délibéré du défendeur. Par exemple, une campagne de désinformation auprès des usagers visant à encourager la consommation d’un produit nocif et hautement addictif. Dans les rapports contractuels assujettis à la Loi sur la protection du consommateur, la victime bénéficie d’une protection en cas de « défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte » (art. 53, al. 2 L.p.c.). Dans le droit commun de la vente, le caractère dangereux est parfois associé à un vice caché lorsqu’il réduit l’utilité du bien, notamment en raison d’un vice de conception du bien, de sa fabrication, de sa mauvaise conservation ou présentation222; il est alors assujetti au régime de la garantie de qualité (art. 1726 et s. C.c.Q.). Lorsqu’il s’agit plutôt d’un danger inhérent au bien vendu, ou encore dans d’autres types de contrats que la vente, les tribunaux peuvent fonder la responsabilité du contractant sur une obligation d’information et de mise en garde implicite, variante de l’obligation de sécurité (art. 1434 C.c.Q.).

Le degré d’inocuité du produit pourra varier dans chaque cas, mais on devra s’en remettre pour l’essentiel à la nature intrinsèque du produit et au degré de connaissances et d’habileté que l’on doit normalement attendre des utilisateurs de ce type de produit. Ces exigences pourront bien sûr varier selon les périodes et l’évolution des techniques de fabrication et de mise en marché.

La preuve du défaut de sécurité (quelle qu’en soit la nature) et son rôle causal incombent toujours à la partie victime.

4) Le préjudice attribuable au défaut de sécurité
Il incombe à la partie qui se dit victime d’un défaut de sécurité de démontrer l’existence d’un préjudice. Le régime extracontractuel de responsabilité du fait des produits couvre tout type de préjudice attribuable au défaut de sécurité du produit (corporel, moral ou matériel). La victime dispose d’un délai de trois ans, à compter de l’apparition du préjudice, pour intenter son action (art. 2925 C.c.Q.).

5) Les moyens d’exonération

Lorsque les conditions posées par l’article 1468 C.c.Q. sont réunies, le fabricant, le distributeur et le fournisseur sont assujettis à une présomption de responsabilité, parfois également qualifiée de « présomption de connaissance du défaut de sécurité ». Ces défendeurs disposent alors de différents moyens de défense, certains de portée générale, d’autres qui sont propres à ce régime.
Comme pour toute autre présomption de responsabilité simple, les défendeurs conservent le droit d’invoquer le moyen de défense général que représentent la force majeure et la cause étrangère assimilable (art. 1470 C.c.Q.). De même, il est permis d’obtenir un partage de responsabilité fondé sur la faute de la victime, lorsque cette faute a pu contribuer, avec le défaut de sécurité, à la réalisation du préjudice (art. 1478 C.c.Q.). Si le partage intervient avec un tiers, ce partage ne peut être opposé à la victime et ne vaut qu’entre les coresponsables, lesquels sont tenus, selon le cas, sur une base solidaire ou in solidum.

Au titre des moyens d’exonération propres au régime extracontractuel du fait des produits de l’article 1468 C.c.Q., deux moyens d’exonération sont prévus à l’article 1473 C.c.Q.

Les défendeurs peuvent d’abord démontrer que la victime connaissait ou pouvait connaître le défaut de sécurité du bien, donc qu’elle a été fautive dans l’utilisation ou la manipulation du bien (art. 1473, al. 1 C.c.Q.). Cette défense n’offre rien de nouveau dans notre droit.
La deuxième situation concerne le risque des innovations technologiques (art. 1473, al. 2 C.c.Q.) et elle n’est pas, elle non plus, nouvelle en matière de responsabilité extracontractuelle au Québec. Le Code civil a intégré ici un moyen de défense qui permet au défendeur de prouver que le défaut du bien ne pouvait être connu par lui au moment où le bien a été fabriqué, ou connu par le distributeur ou fournisseur au moment où le bien a été distribué ou fourni. Le législateur québécois reprend, dans une certaine mesure, le principe énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Drolet. La nouvelle disposition se distingue néanmoins du contexte d’application propre à cet arrêt, dans la mesure où le moyen d’exonération reconnu par le législateur concerne une responsabilité de nature objective, par l’effet de la présomption de responsabilité désormais imposée aux défendeurs en matière extracontractuelle (art. 1468 C.c.Q.), contrairement à la responsabilité qui devrait auparavant être fondée sur le seul régime disponible, soit le régime général de responsabilité pour faute (art. 1053 C.c.B.-C.).

Ainsi, le bénéfice le plus net tiré de la réforme pour la victime, en ce qui a trait à la responsabilité extracontractuelle des fabricants, des distributeurs et des fournisseurs, vient du fait que l’on se retrouvera ici devant une présomption de connaissance du défaut de sécurité et non devant l’obligation pour la victime de prouver la faute des défendeurs. Ce sera au fabricant à venir faire la preuve de ses procédés de fabrication, de la composition de son produit et de l’état des connaissances au moment de cette fabrication. Le second alinéa de l’article 1473 C.c.Q. précise bien qu’il ne s’agit pas de l’état de ses connaissances propres, mais bien de l’état « des connaissances », ce qui renvoie à l’ensemble des indications de dangers et de problèmes connus par les différents intervenants scientifiques et techniques sur le marché concerné. On se trouve donc ici devant l’application d’un critère objectif.

Le Code civil québécois assortit également ce moyen d’exonération d’une condition additionnelle, puisque le fabricant, le distributeur et le fournisseur sont tenus d’aviser les utilisateurs de l’existence d’un défaut de sécurité du bien lorsque l’existence de ce défaut est portée à leur connaissance. Cette obligation de suivi renforce encore davantage le devoir d’information imposé aux défendeurs et atténue, dans une certaine mesure du moins, l’impact du moyen d’exonération fondé sur l’état des connaissances. (1)

(1) Juge Alicia Soldevila, j.c.s., Collection de droit 2016-2017, Responsabilité, La responsabilité civile extracontractuelle, La responsabilité pour le fait ou la faute d’autrui et pour le fait des biens.

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