Lacombe Avocats

Consultation

Article

Modification des conditions de travail et congédiement déguisé

Share Button

Le contrat de travail est soumis aux règles générales des obligations prévues au Code civil. L’une de ces règles veut qu’en principe une partie à un contrat ne puisse en modifier les conditions de façon unilatérale. Elle pourra toutefois le faire si cette possibilité a été prévue expressément ou même implicitement au contrat. Il est reconnu que tout contrat de travail inclut nécessairement un pouvoir de direction de l’employeur sur le salarié. Ce pouvoir de direction confère à l’employeur la possibilité de modifier unilatéralement les conditions du contrat de travail, dans la mesure toutefois où il ne s’agit pas d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail de l’employé.[1]

Ainsi, si les modifications imposées unilatéralement par l’employeur ne sont pas substantielles, il n’y aura pas contravention à ses obligations contractuelles, et, par conséquent, le salarié n’aura droit à aucune réparation. Au contraire, s’il y a modification substantielle aux conditions essentielles du contrat de travail, le salarié pourra considérer qu’il y a eu bris de son contrat. On parlera alors, dans ce dernier cas, de congédiement déguisé.

Le salarié qui fait l’objet d’un congédiement déguisé pourra réclamer une indemnité tenant lieu de délai-congé raisonnable. En effet, dans un tel cas, on considère que l’employeur a mis fin au contrat d’emploi sans motif sérieux et que le salarié a, par conséquent, droit à un délai-congé raisonnable, selon les termes de l’article 2091 C.c.Q. Règle générale, un délai-congé d’un mois par année de service est considéré raisonnable.

Pour déterminer s’il y a eu effectivement modification substantielle, et donc résiliation du contrat de travail, il faut appliquer un test objectif. Le juge doit se demander si, au moment où l’offre a été faite, une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail.

Il y a deux aspects dans notion de congédiement déguisé. Tout d’abord, il y a le congédiement caractérisé par la mauvaise foi de l’employeur qui modifie les conditions de travail d’un salarié en espérant que ce dernier quitte son emploi. Dans de telles circonstances, l’expression « congédiement déguisé » illustre bien cette situation. Toutefois, la mauvaise foi n’est aucunement nécessaire pour que les tribunaux concluent à un congédiement déguisé. Ainsi, il y aura congédiement déguisé même lorsque l’employeur modifie substantiellement les conditions de travail de en toute bonne foi, en espérant conserver le salarié à son emploi.

Les motifs économiques ne justifient pas en principe une modification substantielle aux conditions essentielles du contrat de travail, à moins d’être en présence d’un cas de force majeure.

La jurisprudence est relativement claire et prévoit que les difficultés économiques d’une entreprise ne permettent pas de justifier un licenciement unilatéral, à moins que l’employeur soit en mesure de démontrer que ses difficultés découlent d’un cas de force majeure. Conséquemment, l’argument économique souvent évoqué dans le domaine de la presse écrite ne permettrait pas de justifier un licenciement unilatéral.

L’article 124 de la Loi sur les normes du travail permet à un salarié de faire une plainte à l’encontre d’un congédiement sans cause juste et suffisante. Un congédiement déguisé est, en règle générale, considéré comme un congédiement donnant ouverture à un tel recours.

En effet, le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié (congédiement déguisé dans votre cas) sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement.

Toutefois, lorsqu’un employeur procède réellement à une abolition de poste, une réduction d’effectif ou une réorganisation administrative, le salarié qui perd son emploi n’aura pas de recours valable en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, mais devra plutôt intenter un recours devant les tribunaux civils afin d’obtenir une indemnité tenant lieu de délai-congé raisonnable.

Lorsqu’un employeur modifie de façon substantielle les conditions de travail d’un salarié, pour des motifs liés aux caractéristiques propres du salarié, la CRT considérera qu’il s’agit d’un congédiement au sens de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, et la CRT pourra faire droit à la plainte.

Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une modification substantielle aux conditions de travail pour des motifs économiques, l’article 124 de la Loi sur les normes du travail ne trouvera pas application, tout comme il n’est pas applicable en matière de licenciement.

C’est pour cette raison que certains commissaires utilisent l’expression « licenciement déguisé ». En effet, on se réfère à la notion de « déguisé » pour illustrer le fait que l’employeur ne met pas véritablement fin au contrat d’emploi, mais en modifie substantiellement les termes. Puis, étant donné que les motifs justifiant les modifications sont purement économiques, il faut assimiler ces mesures à un licenciement, sur lequel la CRT n’est pas compétente.

Si la modification même substantielle prend appui sur des intérêts économiques et qu’elle vise un ensemble de salariés indistinctement, il s’agit alors d’un licenciement déguisé soit, une décision prise par un salarié qui décide de quitter parce qu’il refuse de travailler aux nouvelles conditions qui lui sont imposées.

Une des solutions souvent envisagées par les entreprises afin de réduire leurs coûts, tout en limitant les licenciements, consiste à réduire de façon générale la rémunération pour tous les salariés ou certains groupes de salariés. De façon parallèle, l’employeur peut préférer opter pour une réduction générale des heures de travail avec une réduction proportionnelle du salaire.

Une constatation ressort toutefois de la jurisprudence qui prévoit qu’une baisse de rémunération de plus de 10 % est plus susceptible d’être considérée comme un congédiement déguisé.

En ce qui a trait à la réduction des heures de travail, l’impact sur le salarié a souvent été considéré en tenant compte de l’effet négatif de cette réduction d’heures sur ses revenus. Ainsi, il est possible de croire qu’une réduction des heures de travail de plus de 10 %, avec une réduction proportionnelle de la rémunération, serait susceptible d’être considérée comme une modification substantielle au contrat de travail.

Un salarié peut accepter les modifications substantielles qui sont apportées à ses conditions de travail. Dans un tel cas, il n’y aura pas de congédiement déguisé. Dans les faits, il semble que les salariés soient souvent portés à accepter des modifications à leurs conditions de travail, lorsque celles-ci s’étendent à plusieurs salariés au sein de l’entreprise, tel que ce sera généralement le cas en temps de difficultés économiques.

Il ne peut y avoir de congédiement déguisé que s’il y a modification unilatérale des conditions de travail. Par conséquent, si le salarié accepte la modification, il y aura simplement application du contrat selon les nouvelles modalités. Pour qu’il y ait congédiement déguisé, il faut que l’employé visé manifeste son refus à l’égard des nouvelles conditions qui lui sont imposées, par exemple en démissionnant.

Il ressort de la jurisprudence qu’il peut y avoir deux sortes d’acceptation, une acceptation expresse et une acceptation tacite. L’acceptation expresse ne justifie pas réellement de discussion. Si le salarié accepte expressément les nouvelles conditions de travail, notamment en acceptant de signer un nouveau contrat, il ne pourra pas valablement soulever qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé.

Par ailleurs, il pourra également y avoir acceptation, cette fois-ci tacite, si le salarié omet de contester les modifications lui ayant été imposées. Dans un tel cas, les tribunaux considéreront que le fait pour le salarié de rester à l’emploi sans démontrer son opposition aux nouvelles conditions de travail équivaut à un consentement volontaire de la part du salarié à ses nouvelles conditions.

Toutefois, lorsque le salarié reste à l’emploi tout en s’opposant aux modifications, les tribunaux ont conclu à l’absence de consentement tacite. Par exemple, la Cour d’appel a conclu qu’il n’y avait pas eu acceptation tacite des nouvelles conditions de travail étant donné que le salarié avait continué à discuter avec l’employeur afin de trouver une solution de rechange à la rétrogradation qui lui avait été imposée unilatéralement.[2]

Ainsi, s’il est démontré qu’il y a eu acceptation expresse ou tacite des nouvelles conditions de travail, l’employeur sera déchargé de toute responsabilité, étant donné qu’il n’y aura pas eu congédiement déguisé.

Il y a donc une obligation des salariés d’accepter, sous protêt, les modifications substantielles imposées par l’employeur afin de respecter leur obligation de minimiser leurs dommages. Cette obligation ne permettra pas à l’employeur de se décharger de toute responsabilité, mais pourrait lui permettre de réduire considérablement ses dommages comparativement à un cas de congédiement pur et simple.

L’article 1479 C.c.Q. prévoit que tout créancier a une obligation de minimiser ses pertes. Ceci inclut l’obligation du salarié de rester à l’emploi pour réduire ses dommages. L’employeur qui est tenu de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que l’employé pouvait éviter.

La Cour d’appel a reconnu que l’obligation de minimiser son préjudice comporte deux volets. Le premier emporte celle de faire un effort raisonnable pour se retrouver un emploi dans le même domaine d’activités ou un domaine connexe; le second est de ne pas refuser d’offres d’emploi qui, dans les circonstances, sont raisonnables. L’obligation de ne pas refuser d’offre d’emploi raisonnable comprend notamment celle d’accepter une offre raisonnable de son employeur.

La Cour a déjà conclu qu’il incombe à l’employeur de démontrer, d’une part, que l’employé n’a pas fait d’efforts raisonnables pour trouver du travail et, d’autre part, qu’il aurait pu en trouver.  Si l’employeur offre à l’employé la possibilité de limiter son préjudice en revenant travailler pour lui, la question centrale à trancher est de savoir si une personne raisonnable accepterait une telle offre.  La Cour d’appel a estimé qu’il faut s’attendre à ce qu’elle le fasse si le salaire offert est le même, si les conditions de travail ne sont pas sensiblement différentes ou le travail n’est pas dégradant, et si les relations personnelles ne sont pas acrimonieuses

Par ailleurs, la Cour suprême précisait que les tribunaux devraient conclure plus facilement à l’obligation d’un salarié d’accepter l’offre de son employeur lorsque le congédiement a été motivé par des questions reliées aux besoins légitimes de l’entreprise plutôt que reliées à la personne même du salarié.

On exige plus souvent des personnes congédiées par suite d’un changement apporté à leur poste (motivé, par exemple, par les besoins légitimes de l’entreprise plutôt que par des préoccupations de rendement) qu’elles limitent leur préjudice en retournant travailler pour le même employeur, qu’on ne l’exigera des employés congédiés pour un autre motif.

La jurisprudence a généralement accepté qu’un employeur puisse échapper à toute responsabilité lorsqu’il procédait à une modification substantielle des conditions de travail de ses salariés après leur avoir donné un préavis suffisant à cet effet.

Il y a congédiement déguisé lorsqu’un employeur apporte unilatéralement une modification fondamentale à une condition d’un contrat de travail, sans donner à l’employé visé un préavis suffisant de cette modification.  Un tel acte équivaut à la résiliation du contrat de travail par l’employeur, qu’il ait eu ou non l’intention de maintenir les rapports employeur-employé.  Par conséquent, l’employé peut considérer qu’il y a eu résiliation fautive du contrat et remettre sa démission, situation qui, à son tour, fait naître l’obligation de la part de l’employeur de verser à l’employé des dommages-intérêts tenant lieu de délai-congé suffisant.

En l’absence de motif sérieux au sens de l’article 2094 du C.c.Q., l’employeur pourra se rabattre sur l’article 2091 du C.c.Q. pour contrer un recours en dommages alléguant un congédiement déguisé. En effet, l’article 2091 du C.c.Q. reconnaît la possibilité pour l’employeur de mettre fin au contrat de travail à durée indéterminée sans motif sérieux en donnant simplement un délai de congé raisonnable. Tel que mentionné ci-dessus, le fait de modifier substantiellement et unilatéralement les conditions essentielles du contrat de travail équivaut à mettre fin au contrat de travail existant pour en proposer un autre, selon des termes plus avantageux pour l’employeur.

Ainsi, conformément à l’article 2091 du C.c.Q., l’employeur peut légalement procéder à de telles modifications en donnant un délai de congé raisonnable, selon une évaluation au cas par cas, avant de mettre en place les nouvelles conditions de travail. À l’échéance, c’est-à-dire au jour de la mise en vigueur desdites modifications, le salarié pourra tacitement accepter les termes du contrat de travail modifié en demeurant à l’emploi ou les refuser puis quitter son emploi. Dans ce dernier cas, le salarié aura par ailleurs déjà reçu un délai de congé raisonnable au sens de l’article 2091 du C.c.Q. Il ne pourra donc le réclamer une seconde fois, à moins, évidemment, que le délai de congé octroyé ne soit insuffisant selon les circonstances.

Voir notre article sur Le congédiement injustifié

[1] Farber c. Cie Trust Royal, jugement phare en matière de congédiement déguisé

[2] Groupe Commerce compagnie d’assurances c. Chouinard

__________________________________

Contactez-nous pour de plus amples informations: Tel: 514-898-4029  Courriel: malacombe@LacombeAvocats.ca

Share Button