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Le vice de consentement par la crainte

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Article 1402

La crainte d’un préjudice sérieux pouvant porter atteinte à la personne ou aux biens de l’une des parties vicie le consentement donné par elle, lorsque cette crainte est provoquée par la violence ou la menace de l’autre partie ou à sa connaissance.

Le préjudice appréhendé peut aussi se rapporter à une autre personne ou à ses biens et il s’apprécie suivant les circonstances.

JURISPRUDENCE

1. Crainte:

A. Généralités:

La crainte n’attaque pas le consentement dans son élément d’intelligence, mais dans son élément de liberté d’expression de la volonté. Le contractant connaît en effet la portée et les conséquences du contrat, mais n’y adhère pas de son plein gré. Il s’y trouve forcé pour éviter une situation redoutable.

Il n’est pas nécessaire que la crainte résulte de la menace de causer un préjudice corporel ou de porter atteinte à la réputation de la personne pour être cause de nullité du contrat. Elle peut découler de comportements ou d’une conduite visant à priver celle-ci d’un avantage ou de lui enlever la possibilité de réaliser un objectif ou même l’accomplissement d’un événement louable et qui relève de la vie normale d’un individu.

Constitue une cause de nullité toute contrainte illégale ou abusive, physique ou morale, exercée sur une personne pour lui extorquer son consentement.

Constitue une contrainte morale ou psychologique, la menace de diffamation, de divulgation d’informations confidentielles ou de chantage.

Est constitutive de crainte l’attitude généralement violente d’une partie.

La violence constitutive de crainte peut être soit physique soit morale.

La violence morale consistant en une menace illégitime de congédiement est constitutive de crainte.

La crainte doit être déterminante, c’est-à-dire faire appréhender un préjudice sérieux. Il doit aussi être raisonnable, dans les circonstances, de craindre la survenance de celui-ci. Enfin, la menace doit être illégitime. La menace de l’exercice légitime d’un droit ne peut donc engendrer un vice de consentement.

Le préjudice appréhendé doit être réel et non imaginaire, certain et non fictif.

La partie assistée d’un avocat lors de la signature d’un contrat, ne peut prétendre à vice de consentement par la crainte.

La simple présence d’un avocat ne suffit pas pour conclure à l’absence de vice de consentement par la crainte. Encore faut-il que le client soit dans un état tel qu’il puisse adéquatement recevoir et apprécier les conseils légaux offerts.

Ne constitue pas la crainte d’un préjudice sérieux, la simple difficulté pour une partie de trouver un nouveau procureur.

Une convention de séparation entre époux doit être annulée lorsque l’épouse l’a signée par crainte que son mari ne se suicide.

La crainte qui n’est pas formulée par l’autre partie mais plutôt par un tiers n’est pas visée par cette disposition.

La crainte doit émaner du cocontractant ou d’un tiers à sa connaissance.

B. Caractère raisonnable:

Une crainte purement subjective n’est pas cause de nullité du contrat.

Le critère de la crainte raisonnable doit s’apprécier de manière subjective et objective. Subjectivement, il faut prendre en considération les éléments particuliers liés à la victime afin de vérifier sa susceptibilité à être influencée.

La crainte doit être raisonnable eu égard à l’âge, au développement intellectuel et émotif, au caractère et à la condition de la victime.

La crainte raisonnable ne doit pas être le résultat d’une imagination trop fertile ou d’une sensibilité excessive.

De simples pressions psychologiques ne sauraient constituer une crainte objective pouvant donner ouverture à l’annulation d’un acte juridique.

C. Crainte déterminante:

La crainte doit être déterminante et ôter au contractant le libre choix de contracter ou l’obliger à contracter à des conditions autres que celles qu’il aurait normalement acceptées.

La notion de crainte déterminante s’analyse à partir d’un critère objectif et d’un critère subjectif. Le critère objectif est celui de la personne raisonnable et diligente, tandis que le critère subjectif prend en compte l’appréciation in concreto des conditions personnelles de la victime.

L’âge, le sexe, le caractère et la condition de la victime font parties des circonstances qui doivent être appréciées pour l’évaluation du caractère déterminant et sérieux de la crainte.

Un état de subordination entre les parties constitue un élément important dans l’évaluation du caractère déterminant et sérieux de la crainte.

De simples pressions exercées par un conjoint pour obtenir une aide financière ne sont pas cause de nullité, pour consentement vicié par la crainte, d’une hypothèque dont un tiers est créancier, si ce tiers n’a posé aucun geste susceptible de créer cette crainte.

D. État de nécessité:

Un état de nécessité peut engendrer dans certains cas et selon les circonstances entourant la conclusion d’un contrat, une forme de crainte.

L’état de nécessité qui découle des événements eux-mêmes et qui détermine la volonté du contractant ne rend pas le contrat nul.

L’état de nécessité créé par une situation financière difficile déterminant le consentement d’une partie à une transaction n’emporte pas la nullité du contrat.

Si une partie menace de pénaliser son cocontractant dans ses relations d’affaires, il y a matière à nullité ou révision du contrat conclu dans la crainte. Il s’agit là d’un cas de violence économique, concept différent de la simple dépendance économique ou de l’état de nécessité.

Le fardeau de prouver la violence économique incombe à la partie qui l’invoque et la crainte qu’elle engendre doit être déterminante. Le fait de faire valoir ses droits, même de façon égoïste, ne constitue pas un abus de droit.

E. Préjudice sérieux:

La crainte doit être celle d’un préjudice sérieux. Un contrat ne peut être annulé lorsqu’il a été conclu à la suite de simples pressions.

Le préjudice dont le contractant est menacé doit, en lui-même, avoir un certain caractère de gravité.

Une donation peut être annulée lorsque le consentement du donateur a été vicié par son état de dépendance et ses craintes envers le donataire.

Ne constitue pas un préjudice sérieux, la perspective d’un simple inconvénient, d’une contrariété, ou d’une difficulté supplémentaire.

Le préjudice doit comporter un caractère de gravité intrinsèque qui justifie la nullité du contrat.

Le préjudice doit non seulement être sérieux, mais aussi présent ou prévisible.

F. Illustrations:

— Menace illégitime:

La menace du vendeur de ne pas conclure le contrat, si les parties ne réussissent pas à s’entendre, ne constitue pas une menace illégitime. Dans le contexte d’une négociation préalable à une transaction, celle-ci ne devient illégale que si elle est faite dans la poursuite d’une fin illégitime ou utilise des moyens illégitimes.

La menace de mettre fin à la relation familiale et de demander la garde exclusive des enfants n’est pas une menace illégitime puisqu’il s’agit là de l’exercice d’un droit.

La menace d’être expulsé des locaux loués, à défaut de conclure un nouveau bail commercial, entraine la nullité du bail, signé dans ces conditions, puisque le consentement du locataire a été obtenu par la crainte.

2. Personnes victimes de la violence:

A. Proches du contractant:

Lorsque la violence a été exercée contre les proches du contractant, il existe une présomption de fait que la violence a été déterminante du consentement.

3. Preuve:

A. Généralités:

C’est à celui qui allègue la violence et la crainte d’en faire la preuve.

Tous les moyens de preuve sont admis pour démontrer la crainte.

B. Illustrations:

Une transaction ne peut être annulée lorsque la preuve ne révèle aucune violence ou menace de la part de la partie adverse susceptible de provoquer un vice de consentement, et que les délais encourus entre l’offre de règlement et l’acceptation ne laissent voir aucune trace de pression indue, de menace ou de crainte.

Article 1403

La crainte inspirée par l’exercice abusif d’un droit ou d’une autorité ou par la menace d’un tel exercice vicie le consentement.

JURISPRUDENCE

1. Généralités:

La crainte doit être raisonnable et l’appréciation de l’impact de la menace sur la victime doit être effectuée de façon subjective. À cet égard, la condition, l’âge, la scolarité, le développement intellectuel, la condition émotive et le caractère de la victime peuvent être pris en considération.

La crainte doit être celle d’un préjudice sérieux. Ce dernier doit être en rapport avec des faits extérieurs. Il doit être réel et non imaginaire, certain et non fictif.

La menace d’un recours devient injustifiée quand l’équilibre entre les circonstances dans lesquelles on la profère et l’engagement exigé se trouve rompu.

La menace doit avoir une source illégitime.

La manière d’exercer ou de menacer d’exercer une voie de droit en elle-même légitime peut prendre un aspect illicite si l’intention d’intimidation devient prépondérante et absorbe en quelque sorte la légitimité intrinsèque de la procédure envisagée.

La crainte qui découle d’un abus dans l’exercice d’un droit ou de la menace d’un exercice abusif, constitue un vice de consentement, et ce, sans égard à la mauvaise foi du contractant.

La crainte de l’exercice d’un droit ne constitue pas à elle seule un vice de consentement.

Un cocontractant peut exercer des pressions, dans le contexte de négociations contractuelles, afin d’obtenir des concessions d’un autre. Il ne peut, cependant, exercer ses droits de manière abusive en faisant des menaces injustifiées ou démesurées dans le but d’obtenir un avantage indu ou auquel n’a pas droit.

2. Illustrations:

La crainte inspirée par la menace d’exercer un recours en divorce ne constitue pas un motif viciant le consentement donné à un accord entre les parties.

L’amour ou l’aveuglement volontaire ne constitue pas une cause de vice de consentement.

Il n’est pas contraire à l’ordre public contractuel d’utiliser, en vue de forcer une partie à contracter, une contrainte juridique ou d’user d’une certaine violence morale dans l’exercice de ses droits.

Article 1406

La lésion résulte de l’exploitation de l’une des parties par l’autre, qui entraîne une disproportion importante entre les prestations des parties; le fait même qu’il y ait disproportion importante fait présumer l’exploitation.

JURISPRUDENCE

1. Lésion d’application générale:

A. Généralités:

Une disproportion importante entre les prestations fait présumer l’exploitation. Il y a lésion lorsqu’il existe un déséquilibre important entre les rapports contractuels.

Il y a exploitation s’il y a une disproportion injustifiée dans les rapports entre les parties.

En matière de lésion, il n’y a pas d’exploitation si la disproportion résulte de phénomènes postérieurs à l’engagement et indépendants de la volonté des parties, telle l’augmentation du marché.

L’importance de la disproportion créant la lésion s’évalue de façon objective, tout en tenant compte de la situation particulière du contractant.

L’appréciation de l’existence et de l’importance de la disproportion entre les prestations doit se faire au moment de la formation du contrat et non à une étape ultérieure.

L’exploitation peut résulter d’une absence de concurrence, d’un état de nécessité causé par des événements externes, d’une violence morale, ou encore d’un abus d’autorité.

B. Présomption d’exploitation:

Ce texte crée une présomption d’exploitation qui n’existait pas auparavant.

C. Illustrations:

Il y a lésion à l’égard du débiteur lorsque deux prêts d’argent portent intérêt à des taux respectifs de 173,80 % et 405,56 % par année, taux que le tribunal, usant de son pouvoir discrétionnaire, réduit à 20 %.

Il y a lésion lorsqu’un employé, déjà endetté personnellement envers le prêteur, cautionne à la demande de ce dernier un prêt d’argent consenti à son employeur pour les fins exclusives de son entreprise.

L’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne interdit l’exploitation d’une personne handicapée.

Un taux annuel caché de 337 % et une pénalité de 100 $ par jour, représentant un intérêt annuel additionnel de 130 %, sont clairement déraisonnables, excessifs, abusifs et usuraires.

La disproportion ne peut s’inférer du seul constat que le taux d’intérêt est élevé. Il faut que ce taux soit hors marché dans les circonstances.

2. Lésion d’application particulière:

A. Généralités:

La lésion subjective protège uniquement les mineurs et les majeurs protégés.

La lésion subjective est le résultat d’un ou plusieurs actes entraînant un embarras financier ou augmentant directement ou indirectement, d’une façon inéquitable, le passif du patrimoine du contractant.

C’est à celui qui contracte avec une personne de s’assurer de la capacité de cette dernière.

La lésion particulière prévue par ce texte est plus large et plus souple que la notion traditionnelle. La nullité ou la réduction des obligations reste donc possible, même en présence d’un contrat dont les prestations sont objectivement équilibrées.

B. Obligation excessive:

Pour donner ouverture au recours, il suffit que le contrat conclu ait un impact négatif sur la situation patrimoniale du mineur.

Le déséquilibre entre les obligations contractuelles du mineur et les avantages qu’il retire peut constituer un critère d’appréciation du caractère excessif d’une obligation.

L’inutilité du contrat pour un mineur peut constituer un facteur d’appréciation du caractère excessif de l’obligation.

Il suffit de démontrer que l’engagement auquel a souscrit la personne protégée dépasse ses moyens, lui occasionne des pertes et des dépenses ou encore des responsabilités qu’elle n’est pas en mesure d’assumer.

L’achat d’un véhicule tout terrain par un mineur de 16 ans, sans l’autorisation de ses parents, peut être annulé puisqu’il n’en retire aucun avantage.

Il y a lésion lors de l’achat d’un véhicule d’occasion au coût de 6 000 $ par un mineur de 17 ans, qui y passe toutes ses économies, puisqu’il s’agit d’une obligation excessive par rapport à sa situation patrimoniale.

Le contrat comportant des dépenses exagérées pour le mineur peut être annulé pour cause de lésion.

Le mineur qui s’engage dans un commerce non profitable et comportant des risques et hasards est restituable contre son contrat.

La lésion du mineur peut résulter de clauses arbitraires et déraisonnables contenues au contrat.

La lésion du mineur peut s’étendre au préjudice résultant d’embarras, de soucis et d’ennuis.

C. Fausse déclaration du mineur:

La simple déclaration par le mineur, au moment de la conclusion du contrat, qu’il est majeur, ne l’empêche pas de demander l’annulation ou la réduction de ses obligations, malgré la bonne foi de celui avec qui il a contracté.

La fausse déclaration du mineur quant à son âge peut l’empêcher de demander l’annulation du contrat s’il se rend coupable d’une véritable manoeuvre dolosive.[1]

Article 1407

Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d’erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s’il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer.


[1] Code civil du Québec annoté (2021) par Jean-Louis Baudouin et Yvon Renaud

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