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Le contrat et la loi

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L’article 1378, al. 1 C.c.Q. définit le contrat comme un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation. L’accord de volonté distingue donc le contrat des actes ou des faits auxquels la loi attache d’autorité les effets d’une obligation (art. 1372 C.c.Q.).

Précisons que les règles générales relatives au contrat, soit les articles 1378 à 1456 C.c.Q., s’appliquent à tous les contrats, sauf dans la mesure où les parties peuvent mettre ces règles de côté (art. 9 C.c.Q.). Le titre deuxième du livre Des obligations, qui porte sur les contrats nommés, complète ces règles générales (art. 1377, al. 2 C.c.Q.).

Avant d’analyser les conditions de formation du contrat, rappelons d’abord certaines espèces de contrats, ainsi que le principe du consensualisme.

– La classification des contrats

Le Code civil du Québec définit certaines espèces de contrats. Parmi celles-ci – le contrat d’adhésion ou de gré à gré, synallagmatique ou unilatéral, à titre onéreux ou gratuit, commutatif ou aléatoire, à exécution instantanée ou successive, et de consommation, – retenons-en deux qui connaissent un régime particulier : le contrat d’adhésion et le contrat de consommation.

On oppose le contrat d’adhésion au contrat de gré à gré. Dans ce dernier cas, les parties peuvent discuter librement du contenu. En principe, tous les contrats devraient se former ainsi. Par contre, dans le contrat d’adhésion, il n’y a pas de place pour la discussion : une partie impose ses conditions à l’autre, sans faculté de négociation. Ce genre de contrat peut évidemment mener à des abus, que certaines dispositions que nous voyons plus loin (art. 1432 et 1435 à 1437 C.c.Q.) tentent de corriger4.

La qualification du contrat d’adhésion n’est pas toujours aisée. D’abord, la faculté de négociation ne doit pas être confondue avec la liberté de contracter. Ainsi, malgré qu’il ait choisi de contracter et qu’il ait eu le choix de son cocontractant, le contractant peut ne pas avoir joui de la faculté de négociation. Ensuite, un déséquilibre entre contractants n’est pas nécessaire. Des relations contractuelles entre partenaires de force comparable peuvent donc donner naissance à un contrat d’adhésion6. Enfin, bien que le contrat-type soit souvent qualifié de contrat d’adhésion, il n’en sera pas toujours ainsi. Dans certaines circonstances, il résulte d’une véritable négociation et il a simplement pour but de faciliter les pratiques commerciales dans un secteur donné.

Comme le prévoit l’article 1379 C.c.Q., le contrat d’adhésion se distingue par trois caractéristiques. Premièrement, l’adhérent ne jouit d’aucune faculté de négociation des stipulations essentielles. Pour évaluer la faculté de négociation, il faut considérer le contexte qui entoure la conclusion du contrat. L’impossibilité de négocier doit être réelle. Si l’adhérent n’a pas essayé de négocier, son inaction peut être due au comportement du cocontractant8 et pas nécessairement à une absence volontaire de négociation. Si le contractant a négocié mais sans succès, il peut tout de même s’agir d’un contrat d’adhésion s’il n’y avait aucune possibilité de négociation réelle. Si, par ailleurs, le contractant a obtenu certaines concessions lors de la négociation, il faut en évaluer les avantages concrets pour ce dernier. Il peut en effet s’agir de « clauses de complaisance » qui ne constituent pas de véritables concessions en raison de leur importance secondaire ou de leur portée illusoire9. De même, une clause qui prévoit que « les parties reconnaissent qu’elles ont eu la possibilité de négocier et de consulter leurs conseillers juridiques » n’équivaut pas à une preuve de faculté de négociation. Selon nous, ce genre de clause est sans effet parce qu’il réduirait à néant les protections accordées à l’adhérent.

Deuxièmement, l’article 1379 C.c.Q. précise que la faculté de négocier doit porter sur des stipulations essentielles, c’est-à-dire importantes. Le caractère essentiel des stipulations doit être analysé à partir d’un modèle concret et ne pas être restreint à un sens limité. Ainsi, le tribunal tient compte de l’importance de la stipulation pour l’adhérent. Des clauses d’exclusion de garantie, de responsabilité, de défaut ou d’exclusion de risque ont été considérées comme des stipulations essentielles. Les stipulations essentielles coïncideront souvent avec les éléments essentiels du contrat (art. 1388 C.c.Q.). Cependant, les stipulations essentielles ne se résument pas toujours aux seuls éléments essentiels au sens de l’article 1388 C.c.Q.

Troisièmement, les stipulations essentielles ont été imposées par l’une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions. Dans le cas du contrat réglementé, le contenu est imposé par le gouvernement. Comme le contenu n’a pas été imposé par l’une des parties au contrat, il ne s’agirait pas d’un contrat d’adhésion. Le besoin de protection de la partie faible est justement assuré par la convention réglementée. Cependant, lorsque le gouvernement dicte le contenu du contrat et en est aussi partie, il s’agit de contrat d’adhésion.

Notons par ailleurs qu’un entrepreneur peut être considéré comme un adhérent, du moins dans les cas où sa faculté de négociation est inexistante et, le cas échéant, jouir de certaines protections que nous analysons plus loin (art. 1432 et 1435 à 1437 C.c.Q.).

Jusqu’à présent, la jurisprudence a qualifié de contrats d’adhésion plusieurs types de contrats, par exemple le contrat de service d’électricité, le contrat de distribution, le contrat de construction, le contrat de crédit-bail, le contrat de location d’automobile, le contrat de travail ou de convention accessoire entre employeur et employé. Rappelons toutefois qu’il s’agit toujours de cas d’espèce, et que l’on ne saurait affirmer qu’un type particulier de contrat est nécessairement d’adhésion ou de gré à gré. Ainsi, le Code du Bureau de soumissions déposées du Québec n’est pas un contrat d’adhésion. Le contrat de franchise n’est pas toujours un contrat d’adhésion, entre autres lorsque les franchisés ont pu négocier le contenu du contrat. Le fardeau de la qualification pèse sur la partie qui veut bénéficier des avantages du contrat d’adhésion.

Tout comme le contrat d’adhésion, le contrat de consommation est assujetti au même régime de protection dans le droit commun. Le Code civil du Québec offre sa propre définition du contrat de consommation (art. 1384 C.c.Q.), laquelle est applicable dans le cadre de ce régime de protection. Tout d’abord, quant aux parties, le législateur précise que le contrat se forme entre une personne physique et un cocontractant qui exploite une entreprise. Cette notion d’entreprise, définie ailleurs dans le code (art. 1525, al. 3 C.c.Q.), prend le relais de la notion de commercialité du Code civil du Bas-Canada et l’élargit, en incluant des acteurs qui n’étaient pas traditionnellement considérés comme des commerçants, tels les professionnels et les artisans qui exercent une activité économique organisée26. L’objet du contrat, c’est-à-dire l’opération juridique envisagée, peut varier : le consommateur peut, par ce contrat, acquérir, louer, emprunter ou conclure tout autre type de contrat. L’objet de la prestation recherchée par le consommateur est également fort large, puisqu’il peut s’agir d’un bien (meuble ou immeuble) ou d’un service. Par contre, la cause du contrat limite le domaine d’application du code en la matière : le contrat doit être conclu, par le consommateur, à des fins personnelles, familiales ou domestiques. La recherche de profit par un consommateur et le caractère isolé de la transaction ne lui font pas perdre le statut de consommateur.

Le code précise que le champ d’application du contrat de consommation est délimité par les lois relatives à la protection du consommateur. Il existe différentes lois de cette nature28. La plus connue d’entre elles est certes la Loi sur la protection du consommateur. La définition du contrat de consommation, selon cette loi30, diffère à certains égards de celle du code. Ainsi, elle vise principalement les contrats qui portent sur les biens meubles – encore que certaines pratiques relatives à des immeubles fassent l’objet d’un encadrement – et la fourniture de services. De plus, les parties concernées ne sont pas nécessairement les mêmes selon le code et la Loi sur la protection du consommateur. En effet, cette dernière retient la notion de commercialité pour identifier le statut de chacune des parties au contrat : le contrat intervient entre un commerçant dans le cours de son commerce et une personne physique (art. 2 L.p.c.), et cette dernière ne doit pas contracter pour les fins d’un commerce (art. 1 e) L.p.c.). Cependant, comme le professionnel, l’artisan ou le cultivateur ne répondent pas aux critères de la commercialité, puisque traditionnellement ils n’ont pas d’employés, qu’ils ne constituent pas de stocks importants et qu’ils ne spéculent pas, la jurisprudence ne les considère pas comme des commerçants. Ils peuvent donc se prévaloir de la Loi sur la protection du consommateur. Puisque les personnes morales sont exclues de la notion de consommateur, l’agriculteur qui choisit la forme organisationnelle d’une personne morale perd le statut de consommateur. La personne physique qui exploite une entreprise individuelle et qui se procure un bien ou un service à des fins autres que celles de son commerce (soit à des fins personnelles, familiales ou domestiques) sera un consommateur au sens de la Loi sur la protection du consommateur. Selon l’article 3 L.p.c., les coopératives, le gouvernement et les organismes publics ainsi que les corporations à but non lucratif sont considérés comme des commerçants lorsqu’ils accomplissent des actes commerciaux. La Cour suprême a réglé la question de l’applicabilité de la Loi sur la protection du consommateur aux banques : ces dernières sont soumises aux dispositions de cette loi34.

Comme on le constate, le législateur n’a pas assuré la concordance des deux régimes, soit en maintenant la notion de commercialité à l’article 1384 C.c.Q., soit encore en substituant la notion d’entreprise à celle de commerçant dans la Loi sur la protection du consommateur35. Qu’advient-il des cas qui relèvent d’un régime et non de l’autre36? Ainsi, que faire d’un contrat qui n’est pas régi par la Loi sur la protection du consommateur ou par une autre loi de même nature, mais qui peut être couvert par la définition de l’article 1384 C.c.Q.? Ce peut être l’exemple d’un contrat de services conclu entre un professionnel et un particulier. Dans certains cas, selon son niveau d’organisation économique, le professionnel peut être visé par le code, lorsqu’il exploite une entreprise (art. 1525, al. 3 C.c.Q.)37. Par contre, il n’est pas considéré comme un commerçant au sens de la Loi de protection du consommateur38. Le consommateur, au sens de l’article 1384 C.c.Q., peut se prévaloir des protections offertes par le Code en matière de contrat de consommation (art. 1432, 1435, 1436, 1437 C.c.Q.), lorsqu’il transige avec un entrepreneur, même si un tel contrat n’est pas visé par la Loi sur la protection du consommateur. Selon certains auteurs, le renvoi aux « lois relatives à la protection du consommateur », que prévoit l’article 1384 C.c.Q., est sans contenu et sans effet matériel sur la définition du contrat de consommation39. La jurisprudence devra interpréter ce que le législateur entendait par la « délimitation » du champ d’application du contrat de consommation par les lois de protection du consommateur.

Aux différentes espèces de contrats définies par le Code civil s’en ajoutent d’autres reconnues par les tribunaux40 ou par la doctrine. Retenons la distinction entre le contrat consensuel, le contrat solennel et le contrat réel, qui touche les conditions de formation de ces contrats41. Dans le contrat consensuel, la seule volonté des parties suffit pour les lier. Aucune formalité, tel un écrit, n’est nécessaire42. Il s’agit du principe de base en matière de formation des contrats (art. 1385 C.c.Q.). Dans le contrat solennel, des formalités sont nécessaires pour lier les parties (art. 1414 C.c.Q.). Ces formalités sont exigées compte tenu de l’importance des contrats pour les parties ou de l’intérêt de protéger les tiers. Ainsi, des formalités sont requises pour la formation du contrat de mariage (art. 440 C.c.Q.), pour la donation d’immeuble (art. 1824 C.c.Q.) et pour l’hypothèque immobilière (art. 2693 C.c.Q.). Dans le contrat réel, le contrat se forme par la remise de l’objet, comme pour le contrat de prêt (art. 2313 C.c.Q.).

– Le principe et les limites de la liberté contractuelle

La volonté joue un rôle primordial dans la théorie générale du contrat. D’ailleurs, ce dernier se définit comme un accord de volonté (art. 1378 C.c.Q.). Il faut toutefois souligner que la notion de liberté contractuelle a évolué avec le temps43.

Dans sa conception classique, la liberté contractuelle se manifeste tant sur le plan de la forme que du fond. Les parties jouissent d’une grande liberté quant au contenu de leur contrat. Le Code civil du Québec reprend cette idée, puisque les parties peuvent déroger aux dispositions du code, à moins que celles-ci n’intéressent l’ordre public (art. 9 C.c.Q.). De plus, aucune formalité n’est exigée pour la formation du contrat, sauf si la loi44 ou les parties l’imposent (art. 1385 C.c.Q.). Et comme le contrat découle de la volonté des deux parties, il a force obligatoire entre elles (art. 1434 C.c.Q.).

Mais pour éviter des abus générés par la conception classique, le principe de la liberté contractuelle est tempéré par certaines mesures de protection relatives au fond et à la forme du contrat, soit pour assurer une véritable liberté contractuelle entre les parties, soit dans l’intérêt général.

En ce qui concerne la forme, le Code civil impose différentes sortes de formalisme. Par le formalisme solennel, compte tenu du caractère sérieux de l’acte posé et dans le but de protéger les tiers, certains contrats doivent être notariés, sous peine de nullité absolue (art. 1385 C.c.Q.). Par le formalisme de protection, on cherche à protéger l’une des parties, qui peut invoquer la nullité relative en cas de contravention. Dans ce type de formalisme, on distingue entre les formalités habilitantes, qui visent à protéger les incapables, et les formalités imposées pour la protection des consommateurs. Enfin, par le formalisme de publicité, les droits réels qui grèvent un immeuble sont soumis à une procédure d’inscription, afin d’être connus des tiers, tel un éventuel acheteur (art. 2938 C.c.Q.). Si la formalité n’est pas respectée, le contrat est valide entre les parties, mais n’a pas d’effet vis-à-vis les tiers (art. 2941 C.c.Q.).

Le Code civil impose aussi des limites quant au fond : les parties doivent respecter l’ordre public (art. 9 C.c.Q.). Le contenu de cette notion en évolution est variable et dépend de la société. Les règles d’ordre public découlent soit de la loi, soit de l’interprétation des tribunaux. Ainsi, comme le Code civil doit être interprété en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, cette dernière précise certains aspects de la notion d’ordre public et limite, ou augmente, la liberté contractuelle. Notons par ailleurs que l’on distingue l’ordre public de direction destiné à la protection de l’intérêt général, et l’ordre public de protection, qui vise plutôt les intérêts particuliers.

1- La formation du contrat

A- Les conditions essentielles de formation

Tout en réitérant le principe du consensualisme en matière contractuelle, l’article 1385 C.c.Q. prévoit les conditions nécessaires à la formation du contrat, soit le consentement, la capacité, l’objet, la cause et, dans certains cas, les conditions de forme. À ces conditions classiques s’ajoute le respect des droits fondamentaux, comme le rappelle la Disposition préliminaire du Code civil. Par exemple, un contrat ne peut porter atteinte à la liberté religieuse ou encore au droit à l’égalité.

Après avoir analysé ces conditions essentielles, nous examinons la sanction en cas de non-respect, soit la théorie des nullités.

  1. Le consentement

Le consentement à être lié par un contrat doit premièrement exister et il doit ensuite être intègre. Voyons donc les manifestations et les vices de consentement.

  1. a) Les manifestations du consentement

La volonté d’être lié par contrat peut se manifester de façon tacite ou expresse (art. 1386 C.c.Q.). Cette volonté peut se matérialiser soit par l’offre suivie d’une acceptation, soit par une promesse acceptée.

1) L’offre et l’acceptation

Habituellement, l’échange des consentements se fait au moyen de l’offre et de l’acceptation entre deux personnes présentes. Il peut aussi se faire entre personnes non en présence l’une de l’autre.

  1. i) L’offre

a- La définition

L’offrant, ou pollicitant, présente une offre, une proposition de contracter, à une autre personne qui en est le destinataire, le pollicité. L’offre peut être expresse, comme une affiche « à vendre 100 $ », ou tacite, comme dans le cas d’un chauffeur de taxi qui attend dans un espace réservé à cet effet (art. 1386 C.c.Q.).

b- Les caractéristiques

L’offre doit être sérieuse, complète et précise.

Elle doit être sérieuse en ce sens qu’elle manifeste une volonté réelle de l’offrant de s’engager. Par exemple, elle ne doit pas être faite pour plaisanter. L’offrant doit être prêt à donner suite à son offre dès qu’il y a acceptation de la part du pollicité (art. 1388 C.c.Q.). Donc, une « offre d’emploi », comme on en voit dans les journaux, n’est pas une offre au sens de l’article 1388 C.c.Q. dans la mesure où « l’offrant », l’employeur, se réserve la possibilité de ne pas accorder l’emploi au premier acceptant. Il s’agit plutôt d’une invitation à présenter une offre de services.

Pour être complète et précise, l’offre doit comporter tous les éléments essentiels au contrat (art. 1388 C.c.Q.), qu’ils soient déterminés ou déterminables. Par exemple, dans le contrat de vente, le prix doit être indiqué, sinon il s’agit plutôt d’une simple invitation à négocier (art. 1708 C.c.Q.). L’offre se distingue donc de la simple invitation à négocier59 ou à entrer en pourparlers, comme les affiches « à vendre » qui n’indiquent pas tous les éléments nécessaires, ou un projet de formation d’une société commerciale qui ne précise pas les prestations mutuelles des parties.

L’offre peut être faite à une personne déterminée ou indéterminée, comme dans le cas d’un catalogue imprimé ou sur internet, et peut être assortie ou non d’un délai pour son acceptation (art. 1390 C.c.Q.).

c- L’effet

L’effet principal de l’offre est de permettre la formation du contrat par l’acceptation du destinataire. L’offrant n’est toutefois pas lié indéfiniment. En effet, l’offre peut être révoquée, ou encore elle peut devenir caduque.

– La révocation de l’offre

L’offre avec ou sans délai peut toujours être révoquée avant que le destinataire la reçoive, puisque ce dernier ne subit alors aucun préjudice de la révocation (art. 1391 C.c.Q.).

L’offre sans délai demeure révocable tant que l’offrant n’a pas reçu l’acceptation (art. 1390, al. 2 C.c.Q.). Cependant, comme l’offre doit manifester la volonté réelle de son auteur d’être lié, l’offrant peut être tenu à des dommages-intérêts s’il a retiré son offre de façon abusive, faisant preuve de mauvaise foi (art. 7, 1375 et 1457 C.c.Q.), par exemple, lorsque la prise de décision par le bénéficiaire a nécessité un investissement considérable. À cet égard, les termes de l’offre et le contexte dans lequel elle est présentée s’avèrent déterminants.

Si l’offrant a fixé un délai pour l’acceptation de l’offre, il ne peut la retirer pendant cette période (art. 1390, al. 2 C.c.Q.). Ce délai est de rigueur, sauf si les parties le prolongent par leur comportement. Lorsque l’offrant retire son offre, de façon abusive ou avant l’expiration du délai, alors que le bénéficiaire l’aurait acceptée, l’offrant ne peut être tenu de conclure le contrat. La seule sanction applicable est la responsabilité civile extracontractuelle en réparation du préjudice causé par son retrait (art. 7, 1375 et 1457 C.c.Q.)64.

– La caducité de l’offre

Certains événements peuvent rendre l’offre caduque, c’est-à-dire sans effet, et ainsi libérer l’offrant. L’offre devient caduque si le destinataire a refusé l’offre (art. 1392, al. 1 C.c.Q.). Dans le cas d’une offre assortie d’un délai, elle devient également caduque à l’expiration de ce délai, si elle n’a pas été préalablement acceptée (art. 1392, al. 1 C.c.Q.). Si l’offre n’est pas assortie d’un délai, elle devient caduque à l’expiration d’un délai raisonnable (art. 1392, al. 1 C.c.Q.). Par ailleurs, peu importe qu’elle soit assortie d’un délai ou non, l’offre devient caduque si l’offrant ou le destinataire de l’offre décède, fait faillite ou est mis sous régime de protection avant que l’acceptation soit reçue par l’offrant (art. 1392, al. 2 C.c.Q.).

  1. ii) L’acceptation

Lorsque le pollicité accepte l’offre telle qu’elle est présentée par l’offrant, le contrat se forme par le seul consentement des parties, à moins que la loi ou les parties n’aient clairement prévu des formalités supplémentaires (art. 1385 C.c.Q.).

L’acceptation, qui peut être expresse ou tacite (art. 1386 C.c.Q.)67, doit être substantiellement conforme à l’offre, c’est-à-dire qu’il doit y avoir acceptation des éléments essentiels (art. 1393, al. 1 C.c.Q.). Si le pollicité modifie les termes de l’offre, il se trouve à présenter une nouvelle offre, une contre-offre, et il devient l’offrant (art. 1389 in fine et 1393, al. 2 C.c.Q.). L’offre originale devient ainsi caduque (art. 1392, al. 1 C.c.Q.).

L’acceptation doit aussi se faire à l’intérieur du délai imparti, le cas échéant, sinon l’offre est caduque (art. 1392, al. 1 C.c.Q.). En cas d’offre sans délai, l’acceptation doit se faire dans un délai raisonnable (art. 1392, al. 1 C.c.Q.).

Le silence n’implique pas consentement, à moins d’éléments qui permettent d’en déduire le contraire. Il peut s’agir de la volonté des parties, de la loi ou de circonstances particulières, tels les usages ou les relations d’affaires antérieures (art. 1394 C.c.Q.). Quant à l’offre de récompense, elle est considérée comme acceptée dès qu’une personne accomplit l’acte, même sans connaître l’existence de l’offre (art. 1395 C.c.Q.). Il s’agit là d’une exception au principe de l’acceptation de l’offre par le destinataire.

iii) Le contrat entre personnes non présentes

Bien que l’article 1387 C.c.Q. ne s’applique pas seulement aux contrats conclus entre personnes non présentes, cet article clarifie la situation, comme dans le cas de contrats conclus par téléphone ou par télécopieur. Le contrat se forme au moment et au lieu où l’offrant reçoit l’acceptation, peu importent les moyens de communication utilisés. Le code retient donc la thèse de la réception matérielle de l’acceptation. Ainsi, la connaissance réelle de l’acceptation par l’offrant n’est pas nécessaire.

L’article 1387 C.c.Q. n’envisage pas les contrats conclus au moyen des technologies de l’information. Ainsi, l’offrant peut recevoir une acceptation de son offre, par courriel, alors qu’il se trouve au milieu de l’Atlantique, lorsqu’il prend connaissance de cette acceptation. Selon l’article 31 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, la réception d’un document technologique (une acceptation par courriel par exemple) est présumée, si le courriel est accessible à l’adresse de l’emplacement retenu pour échanger des documents au moyen des technologies de l’information, ou à l’adresse courriel de l’offrant qui l’a annoncée publiquement. Le lieu de réception de l’acceptation correspond à la résidence ou à l’établissement du récipiendaire, particulièrement lorsque c’est à cet endroit où l’expéditeur de l’acceptation pouvait raisonnablement croire qu’il l’acheminait. Le moment de la réception du courriel d’acceptation pourra être établi au moyen d’un bordereau d’envoi ou un accusé de réception ou par la production des renseignements conservés avec le document (art. 31, al. 3 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information).

Il est important de déterminer le lieu de formation du contrat, notamment, pour des raisons de compétence du tribunal en droit international privé (art. 3148 (3) C.c.Q.) et en droit judiciaire privé (art. 41 à 47 C.p.c.). La détermination du moment de formation du contrat permet, entre autres, de décider si le contrat a été formé à l’intérieur des délais consentis ou de décider du sort du contrat en cas de faillite de l’une des parties. L’article 1387 C.c.Q. n’est pas d’ordre public et les parties ou le législateur peuvent prévoir autrement.

2) Les promesses de contracter

En plus de l’offre et de l’acceptation, l’échange des consentements peut se produire par des promesses de contracter. On rencontre ces dernières, aussi appelées avant-contrats, entre autres, en matière de vente immobilière et de louage commercial. Le Code civil reconnaît d’ailleurs leur utilité en leur consacrant les articles 1396 et 1397, ainsi que les articles spécifiques aux promesses de vente, les articles 1710 à 1712 C.c.Q. À ces promesses s’ajoute le pacte de préférence, que le législateur soumet au même régime.

  1. i) La promesse unilatérale

La plus fréquente de toutes les formes de promesses, la promesse unilatérale, ou option, permet aux parties au contrat proposé de gagner du temps afin d’obtenir, notamment, des informations avant de s’engager définitivement, tout en fixant la proposition dans le temps. Il peut s’agir, par exemple, de la vérification des titres de propriété, de l’obtention d’expertises, de financement ou d’autorisations gouvernementales.

a- La définition

La promesse unilatérale constitue un véritable contrat préparatoire, qui maintient la proposition de conclure le contrat final pendant un délai déterminé ou raisonnable. Deux volontés sont en présence : celle du promettant de contracter dans le futur avec le bénéficiaire de la promesse, si ce dernier accepte, et celle du bénéficiaire de considérer la promesse qui lui est faite. Cependant, seul le promettant assume une obligation, ce qui en fait un contrat à effet unilatéral. L’objet du contrat est de conclure un autre contrat.

La promesse unilatérale se distingue de certaines notions voisines. Une telle promesse se différencie de l’offre sans délai. Le promettant qui fait une promesse à une personne déterminée est lié, tandis que l’offrant peut retirer son offre sans délai à tout moment (art. 1390, al. 2 C.c.Q.). La promesse se distingue aussi de l’offre, avec ou sans délai, dans la mesure où l’offre devient caduque advenant le décès, la faillite ou la mise sous régime de protection de l’offrant avant que l’acceptation ne soit reçue par l’offrant (art. 1392, al. 2 C.c.Q.). En cas de décès du promettant, la promesse unilatérale est transmise à ses héritiers (art. 1441 C.c.Q.). De même, on ne peut forcer un offrant à passer un contrat, alors qu’on peut le faire à l’égard d’un promettant (art. 1590, 1601 et 1712 C.c.Q.), sous réserve de l’hypothèse où le promettant a déjà contracté avec un tiers en violation de la promesse (art. 1397 C.c.Q.).

La promesse unilatérale se rapproche cependant de l’offre faite à une personne déterminée qui consent à la considérer et à y répondre dans un délai raisonnable ou dans le délai prévu par l’offre. L’article 1396 C.c.Q. présume qu’une telle offre constitue une promesse de contracter. Dans ce cas, le bénéficiaire de l’« offre » accepte de réfléchir à la proposition qui lui est présentée. Il y a une volonté de sa part. On se trouve donc en présence d’une promesse unilatérale et non d’une simple offre. Ce rapprochement ne fait que refléter la pratique en matière immobilière selon laquelle les parties, bien qu’utilisant le vocabulaire de l’offre et de l’acceptation, envisagent plutôt de former le contrat définitif plus tard et ainsi retarder le transfert de la propriété. Cette assimilation de l’offre à une promesse, selon les conditions de l’article 1396, al. 1 C.c.Q., serait d’application générale : elle s’applique à tout genre de contrat projeté. Elle pourrait cependant alourdir la formation du contrat si le bénéficiaire de l’offre, assimilée à une promesse, accepte dans les délais et doit en plus indiquer que le contrat doit se former immédiatement. Voilà pourquoi cette disposition ne serait pas impérative.

La parenté entre la promesse unilatérale et l’offre se manifeste également quant au régime applicable à la promesse. En effet, certaines règles relatives aux offres peuvent s’appliquer par analogie aux promesses, à moins d’incompatibilité ou de termes contraires prévus par les parties. Il en va ainsi, notamment, de la règle concernant la caducité de l’offre à l’expiration d’un délai raisonnable (art. 1392 C.c.Q.), de celle relative au lieu et au moment de l’acceptation (art. 1387 C.c.Q.), et de celle concernant la valeur du silence (art. 1394 C.c.Q.).

b- La nature

Comme il s’agit d’un droit personnel et non réel, la promesse ne peut être publiée (art. 2938 C.c.Q.). Le bénéficiaire jouit d’une créance pendant le délai prévu.

c- La promesse de vente avec acompte

En matière de promesse de vente, toute somme versée est présumée constituer un acompte, qui est déduit du prix de vente advenant la levée de l’option, à moins que les parties n’en décident autrement (art. 1711 C.c.Q.). Il ne s’agit donc pas d’arrhes qui permettent à chacune des parties de se libérer de sa promesse. Néanmoins, il s’agit là d’une présomption simple.

d- La durée

La promesse unilatérale peut être assortie d’un terme extinctif (art. 1517 C.c.Q.). Le promettant est alors lié jusqu’à l’expiration du délai. Si le bénéficiaire n’exerce pas l’option à l’intérieur de ce délai, la promesse devient caduque (art. 1392, al. 1 C.c.Q.). Il s’agit donc d’un délai de rigueur. Par contre, le délai pour finaliser le contrat, par exemple le délai pour signer le contrat de vente notarié, n’est pas de rigueur, à moins que les parties ne l’aient clairement précisé85. Si l’objet vient à périr, la promesse devient également caduque (art. 1693 et 1694 C.c.Q.).

Dans le cas où le promettant n’a pas stipulé de délai à sa promesse, on peut supposer que l’option ne doit pas être ouverte indéfiniment. Par analogie, on peut alors appliquer l’article 1392 C.c.Q. : elle doit être maintenue pendant un délai raisonnable. Cependant, il est préférable que le promettant mette le bénéficiaire en demeure afin de clarifier la situation.

e- L’effet

Les effets de la promesse unilatérale varient selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui du bénéficiaire de la promesse. Le promettant est lié par sa promesse pour la durée du délai stipulé ou pour un délai raisonnable. Quant au bénéficiaire, il n’assume aucune obligation tant qu’il n’a pas accepté. S’il accepte la promesse qui lui est consentie à l’intérieur du délai ou dans un délai raisonnable, il se trouve lié dès son acceptation, également appelée « levée de l’option »86. La promesse, maintenant bilatérale, n’équivaut pas nécessairement au contrat final envisagé87. Les deux parties s’engagent à le conclure, à moins d’intention contraire de le former immédiatement (art. 1396, al. 2 C.c.Q.).

  1. ii) La promesse bilatérale

La promesse bilatérale ou synallagmatique précède parfois la conclusion du contrat définitif. Par cet avant-contrat, les deux parties s’engagent réciproquement à conclure le contrat final envisagé.

Comme « la promesse, à elle seule, n’équivaut pas au contrat envisagé » (art. 1396, al. 2 C.c.Q.), la spécificité de la promesse bilatérale de vente est reconnue. La promesse de vente, même acceptée, ne confère donc aucun droit réel au promettant-acheteur, qui jouit simplement d’un droit personnel.

L’article 1710 C.c.Q. prévoit néanmoins qu’une promesse de vente accompagnée de possession et de délivrance équivaut à vente. Cela s’explique du fait que le promettant-vendeur s’est comporté comme un vendeur en livrant, et le promettant-acheteur, comme un acheteur en prenant possession. Les parties ont donc voulu que la vente soit parfaite immédiatement, malgré le recours à la terminologie des promesses. Par convention, les parties peuvent cependant prévoir autrement.

iii) Le pacte de préférence

On appelle pacte de préférence « la convention par laquelle une personne s’engage envers son cocontractant, pour le cas où elle déciderait de passer un contrat déterminé, de le lui proposer en priorité »90. Il peut s’agir, par exemple, d’un locateur qui s’engage envers son locataire à lui offrir en priorité d’acheter l’immeuble loué dans l’éventualité où il déciderait de s’en départir. Comme il s’agit d’une restriction du droit de disposer, ce genre de clause doit s’interpréter de façon restrictive. Il est transmissible, à moins de stipulation contraire.

Le pacte de préférence ne doit pas être confondu avec la promesse unilatérale. Dans le premier cas, le contractant visé par le pacte n’est lié que s’il décide de conclure le contrat envisagé. Sa volonté déclenche le mécanisme. De même, le bénéficiaire du pacte n’est pas tenu de conclure le contrat projeté, si le contractant visé par le pacte déclenche le mécanisme. Il a simplement la possibilité de contracter par préférence à toute autre partie intéressée. Quant à la promesse unilatérale, au contraire, le promettant est lié dès que le bénéficiaire accepte de considérer la promesse. C’est la levée de l’option par le bénéficiaire qui forme l’avant-contrat. Évidemment, le pacte de préférence peut se transformer en promesse de vente. Ainsi, lorsque le contractant informe le bénéficiaire du pacte qu’il décide de conclure le contrat envisagé, le bénéficiaire peut décider d’accepter ou de refuser la promesse qui lui est faite.

De même, le pacte de préférence ne peut être analysé comme une condition purement potestative (celui qui s’engage le fait à la condition qu’il le veuille bien) (art. 1500 C.c.Q.), car il serait nul, alors que le Code civil reconnaît ce mécanisme.

  1. iv) Les sanctions en cas d’inexécution

La promesse unilatérale impose des obligations au promettant, alors que la promesse synallagmatique oblige les deux parties. En cas de refus de conclure le contrat final par l’une des parties, diverses sanctions peuvent être invoquées par le bénéficiaire de la promesse (art. 1590 C.c.Q.).

a- L’action en passation de titre

La plupart des promesses de contracter interviennent dans le contexte de la vente. Si le promettant refuse d’exécuter le contrat de vente final, le bénéficiaire de la promesse de vente ou d’achat peut demander au tribunal de prononcer un jugement qui équivaut à l’acte de vente. L’action en passation de titre, propre à la promesse de vente ou d’achat, permet de forcer l’exécution en nature (art. 1712 C.c.Q.)95 lorsqu’elle est toujours possible. Même s’il s’agit d’une hypothèse moins courante, on peut imaginer qu’une procédure similaire puisse être intentée pour forcer la conclusion d’autres types de contrats (art. 1601 C.c.Q.), comme le bail96. À l’action en passation de titre s’ajoutent des dommages-intérêts, le cas échéant.

Dans l’intervalle, le bénéficiaire de la promesse peut envisager une demande pour mesures provisionnelles, par exemple la saisie avant jugement (art. 518 C.p.c.), l’injonction prohibitive pour interdire au promettant de se départir du bien en faveur d’un tiers (art. 509 C.p.c.), ainsi que la préinscription de la demande en justice si elle contient une conclusion en passation de titre. Une fois que le bien promis est sorti du patrimoine du vendeur, en effet, l’action en passation de titre est impossible et le créancier de la promesse doit se contenter de dommages-intérêts (art. 1458, 1590 et 1607 C.c.Q.).

b- La résolution

Même s’il dispose de la faculté de demander la passation du titre, le créancier frustré par le refus de contracter de son promettant peut préférer la résolution de l’avant-contrat accompagnée de dommages-intérêts, le cas échéant. Il s’agit alors d’une situation propice à la résolution de plein droit, par exemple dans le cas où le promettant refuse clairement de donner suite à sa promesse (art. 1597 et 1605 C.c.Q.)98. Malgré une telle résolution extrajudiciaire, le créancier frustré pourra être contraint des’adresser à un tribunal pour obtenir des dommages-intérêts.

c- Le contrat conclu en violation de la promesse ou du pacte

Dans le cas où le promettant ne respecte pas sa promesse, ou le pacte de préférence, et contracte avec une autre personne, ce contrat est opposable au bénéficiaire de la promesse ou du pacte de préférence, c’est-à-dire que le bénéficiaire de la promesse ou du pacte de préférence ne pourra faire valoir son entente. Cependant, le bénéficiaire de la promesse ou du pacte de préférence peut intenter un recours en dommages-intérêts contre le promettant (art. 1397 et 1458 C.c.Q.) et l’autre personne si cette dernière est de mauvaise foi (art. 1397 et 1457 C.c.Q.). Dans certains cas, le bénéficiaire pourrait faire valoir l’inopposabilité de l’acte (art. 1631 C.c.Q. et s.). À ce sujet, voir chapitre 3, « L’exécution de l’obligation ».

  1. b) La qualité du consentement

Le contrat se forme par l’échange des consentements (art. 1385 C.c.Q.), mais encore ce consentement doit-il être intègre pour lier les parties (art. 1399 C.c.Q.). Il doit donc être libre et éclairé. L’article 1399 C.c.Q. énumère les vices de consentement qui empêchent un contrat de se former valablement : l’erreur simple et provoquée, la crainte, et la lésion.

1) L’erreur simple

Définissons d’abord l’erreur simple avant d’analyser son domaine d’application, les conditions qui la régissent, les règles de preuve, ainsi que les sanctions.

  1. i) La définition

L’erreur simple est une fausse croyance, une fausse représentation de la réalité. Ainsi, un acheteur croit acheter l’œuvre d’un peintre reconnu, mais il se procure une reproduction. L’erreur simple se distingue de l’erreur provoquée par le dol (art. 1401 C.c.Q.) dans la mesure où le cocontractant ne participe pas sciemment à créer cette erreur.

  1. ii) Le domaine

Comme l’erreur simple se produit sans malhonnêteté de l’autre partie, la sanction de toutes les erreurs simples menacerait la stabilité contractuelle. De plus, comme il s’agit d’un élément psychologique, elle présente des problèmes de preuve. C’est pourquoi seules certaines formes d’erreur simple, qui jouent un rôle primordial sur la volonté du contractant victime, sont reconnues.

Le Code civil du Québec sanctionne trois sortes d’erreur simple. D’abord, l’erreur peut porter sur la nature du contrat. Les parties ne s’entendent pas sur la nature de la convention qu’elles ont signée. Par exemple, le demandeur ne savait pas qu’il signait un cautionnement. L’erreur peut aussi toucher l’objet de la prestation. Les parties s’entendent sur la nature du contrat, mais pas sur l’objet de la prestation, c’est-à-dire le bien sur lequel porte la prestation. Par exemple, un agriculteur pense acheter un engrais, alors qu’il s’est procuré un herbicide. Enfin, les parties se sont entendues sur la nature du contrat et sur l’objet de la prestation, mais elles ne s’accordent pas sur un élément essentiel. La détermination du caractère essentiel d’un élément n’est pas toujours facile. Il faut alors analyser l’intention des parties.

Ce ne sont donc pas toutes les formes d’erreur qui sont admises par le législateur. Ainsi, l’erreur sur la valeur économique n’est pas admise, à moins qu’il ne s’agisse de lésion et que la partie victime puisse se prévaloir d’un des cas où la loi sanctionne explicitement la lésion104. Cependant, l’erreur sur la valeur peut être indirectement un motif de nullité lorsqu’elle est la conséquence d’une erreur sur un élément essentiel. Ainsi, la personne qui croit acheter une toile authentique, qui est en fait une copie, à l’insu du vendeur, se trompe indirectement sur la valeur, mais il s’agit d’une erreur sur un élément essentiel. Par ailleurs, la partie victime d’une erreur économique peut, dans certains cas, invoquer d’autres mécanismes tels la crainte (art. 1403 C.c.Q.), l’erreur provoquée par le dol (art. 1401 C.c.Q.) et, dans le cas du contrat d’adhésion ou de consommation, la clause illisible, incompréhensible (art. 1436 C.c.Q.) ou abusive (art. 1437 C.c.Q.).

L’erreur de forme, comme une erreur de calcul ou d’écriture, constitue un autre exemple d’erreur qui ne peut être considérée comme un vice de consentement, sauf s’il s’agit d’un élément essentiel au contrat. De la même façon, il n’est pas permis d’invoquer l’erreur sur des motifs personnels. Par motif personnel, on entend la raison qui a amené le contractant à contracter, mais qui se situe en dehors du contenu du contrat pour tout autre contractant. Par exemple, un collectionneur achète les toiles du peintre Picasso, mais uniquement celles peintes entre 1920 et 1930. Il ne pourrait pas demander la nullité d’une vente en découvrant ultérieurement que la peinture date de 1918, puisque la date de production constitue un motif personnel. Cependant, l’erreur sur un motif personnel peut devenir une cause de nullité lorsque le contractant a dévoilé l’importance du motif personnel à son cocontractant. Le motif personnel devient alors un élément essentiel qui a déterminé le consentement du contractant et qui peut, par conséquent, donner ouverture à la nullité en cas d’erreur. Pour reprendre notre exemple, si le collectionneur a indiqué au vendeur qu’il était intéressé uniquement par des toiles produites durant cette période, il peut demander la nullité de la vente dans le cas où une expertise ultérieure révèle que la toile achetée était antérieure à la période concernée. Idéalement, le motif personnel, qui est déterminant du consentement du contractant, devrait être exprimé dans une clause du contrat.

iii) Les conditions

Pour être admise comme vice de consentement, non seulement l’erreur doit-elle figurer parmi les formes d’erreur admises, mais elle doit aussi avoir joué un rôle primordial sur la volonté. N’eût été de cette erreur, le contractant n’aurait pas consenti au contrat. Cette erreur déterminante porte habituellement sur des faits. Ainsi, on croit acheter une œuvre authentique, mais on se procure une reproduction. L’erreur peut aussi concerner une règle de droit. On peut se tromper sur l’étendue de ses droits. Par exemple, le vendeur croit obtenir une garantie hypothécaire, alors qu’il obtient une garantie personnelle. Cependant, l’erreur de droit n’est pas une cause de nullité en matière de transaction (art. 2634 C.c.Q.). En matière d’appréciation de l’erreur simple, les tribunaux adoptent un modèle d’évaluation concret, basé sur le contexte et les caractéristiques personnelles de l’errans.

Le Code civil du Québec ajoute une nouvelle condition : il refuse de sanctionner l’erreur inexcusable, c’est-à-dire l’erreur grossière (art. 1400, al. 2 C.c.Q.). On a ainsi voulu imposer l’obligation de se renseigner à tout contractant et protéger le cocontractant de bonne foi. Il faut souligner que la négligence du contractant victime n’est pas automatiquement assimilable à une erreur inexcusable. Il est nécessaire d’établir qu’une négligence d’une certaine gravité a été commise. Donc, un contractant dont la négligence n’est pas grossière peut demander la nullité du contrat, sous réserve d’être tenu à des dommages-intérêts envers son cocontractant (art. 1457 C.c.Q.). Par ailleurs, l’erreur qui pourrait être considérée comme inexcusable perd ce caractère lorsqu’elle découle du comportement dolosif du cocontractant.

Pour évaluer le caractère inexcusable de l’erreur, le tribunal doit tenir compte des circonstances particulières de chaque affaire et appliquer un modèle d’évaluation concret. Ainsi, on reprochera au contractant de ne pas avoir lu le contrat de cautionnement rédigé en anglais, alors que ce n’était pas la première fois qu’il faisait affaire dans cette langue. Par contre, il faut se rappeler que l’appréciation du caractère inexcusable de l’erreur repose sur les faits propres au litige. Pour reprendre l’exemple du contrat conclu par un contractant dans une langue seconde, il peut arriver qu’une telle erreur soit considérée excusable.

Enfin, l’autre partie doit-elle connaître l’erreur? Il faut distinguer entre l’élément essentiel et l’élément personnel devenu essentiel. Dans le premier cas, l’élément essentiel n’a pas à être expressément connu de l’autre partie, car il s’agit d’un élément essentiel pour tout autre contractant. Dans le second, l’autre partie doit avoir eu connaissance de son importance, à défaut de quoi il s’agit d’une erreur sur un motif personnel qui n’est pas sanctionnée par la nullité.

  1. iv) La preuve

La partie qui invoque l’erreur supporte le fardeau de la preuve (art. 2803 C.c.Q.) et doit démontrer qu’elle n’aurait pas contracté, n’eût été de cette erreur. Elle peut prouver l’erreur par tous les moyens de preuve : le témoignage, les présomptions de fait, etc. Comme il s’agit d’une erreur subjective, la jurisprudence exige que le témoignage soit corroboré par les circonstances, un écrit, ou un autre témoignage.

  1. v) Les sanctions

Si l’erreur fait partie de celles qui sont reconnues par le code civil, et que les autres conditions sont remplies, la partie victime de l’erreur peut intenter une action en nullité relative (art. 1407 et 1419 C.c.Q.). Ce recours est aussi ouvert à son cocontractant, s’il est de bonne foi et subit un préjudice sérieux (art. 1420 C.c.Q.)119. Dans certains cas, les deux parties au contrat peuvent faire valoir l’erreur simple et la nullité relative, si elles en sont toutes deux victimes. Par exemple, l’une pensait acheter et l’autre pensait louer.

Par ailleurs, lorsque les deux parties reconnaissent que le contrat tel que rédigé (l’instrumentum) ne représente pas leur intention commune (le negotium), mais qu’elles désirent maintenir le contrat, tout en le rectifiant, elles peuvent alors faire valoir l’article 1425 C.c.Q. La Cour suprême a reconnu cette façon de faire dans le contexte fiscal, lorsqu’une telle demande est légitime (elle ne vise pas l’évitement fiscal) et que la correction recherchée n’affecte pas les droits des tiers.

Se soulève la question de l’octroi des dommages-intérêts. Si l’on s’en tient à la lecture de l’article 1407 C.c.Q., seule l’action en nullité est disponible en cas d’erreur simple. Le demandeur ne pourrait donc pas obtenir en plus des dommages-intérêts ou demander une réduction de ses obligations. Cette différence de recours disponibles se justifierait par le fait que l’erreur simple est considérée comme objectivement moins grave que les autres vices, qui sont imputables au cocontractant. Mais le libellé de l’article 1407 C.c.Q. écarte-t-il pour autant l’article 1457 C.c.Q. et la possibilité de dommages-intérêts, à la suite du comportement fautif du défendeur? Certains auteurs considèrent que le recours en vertu de l’article 1457 C.c.Q. est encore possible. Ainsi, on peut imaginer une situation où l’erreur de l’une des parties est le résultat de la faute de l’autre, sans pour autant qu’il s’agisse de dol. Par exemple, un agriculteur s’adresse à une entreprise de vente en vrac de nourriture pour animaux. L’acheteur mentionne le nom du produit qu’il recherche, mais l’employé qui a mal entendu néglige de confirmer le produit recherché et confond le nom prononcé et celui d’un autre produit. L’agriculteur, qui perd son troupeau en raison de la négligence de l’employé, pourrait, à notre avis, obtenir des dommages-intérêts sur le fondement du principe général de l’article 1457 C.c.Q. Il s’agit là d’une situation où la seule nullité du contrat avec restitution du prix de vente ne suffit pas à réparer la négligence du cocontractant. Cela dit, une telle situation se présente rarement en pratique. Dans plusieurs cas, le contrat se forme correctement, c’est-à-dire que les deux parties s’entendent sur l’objet de la prestation, mais le vendeur commet une faute à l’étape de l’exécution de l’obligation de délivrance. Dans ce cas, le droit de l’acheteur à des dommages-intérêts ne fait pas de doute, mais il relève de l’inexécution du contrat plutôt que d’un défaut de formation (art. 1590, 1458 et 1716 C.c.Q.). Dans d’autres cas, il pourra s’agir de vice caché. Les tribunaux auront à clarifier ce point.

De même, qu’en est-il de la responsabilité de la victime de l’erreur simple vis-à-vis son cocontractant de bonne foi, auquel l’annulation du contrat cause un préjudice? Dans ce cas, celui-ci peut demander des dommages-intérêts pour la faute de la victime de l’erreur (art. 1457 C.c.Q.). Cependant, il doit s’agir de simple négligence et non de négligence grossière de la part de la demanderesse, puisque dans ce dernier cas il s’agit d’une erreur inexcusable qui ne peut donner lieu à la nullité du contrat (art. 1400, al. 2 C.c.Q.).

L’action en nullité se prescrit par trois ans à compter de la découverte de l’erreur (art. 2925 et 2927 C.c.Q.). La remise en état des parties se fait selon les règles relatives à la restitution des prestations (art. 1699 et s. C.c.Q.)125.

2) L’erreur provoquée par le dol

Après avoir défini l’erreur provoquée par le dol, nous abordons les formes de dol, les conditions d’application, ainsi que les sanctions.

  1. i) La définition

Comme l’erreur simple, l’erreur provoquée consiste en une fausse croyance, une fausse représentation de la réalité, mais qui a été provoquée volontairement par le dol de l’autre partie ou à sa connaissance (art. 1401 C.c.Q.).

Bien que les deux formes d’erreur vicient le consentement, l’erreur provoquée ne fait pas double emploi avec l’erreur simple.

D’abord, l’erreur provoquée par le dol élargit le domaine de la nullité pour erreur. Ainsi, en cas de dol, l’erreur n’est pas limitée aux catégories reconnues par la loi pour l’erreur simple (erreur sur la nature, sur l’objet de la prestation ou sur tout élément essentiel). Par exemple, bien que l’erreur sur la valeur ne soit pas admise comme erreur simple, si elle résulte d’un dol, elle est considérée comme une erreur provoquée et le contrat peut être annulé. De plus, l’existence de manœuvres de la part du cocontractant peut rendre plus plausible l’erreur commise par la partie victime, ce qui en facilite la preuve. Le dol peut également excuser cette erreur alors que, sans de telles manœuvres, elle aurait été jugée inexcusable (art. 1400, al. 2 C.c.Q.).

  1. ii) Les formes

L’erreur peut être provoquée de différentes façons. Il peut d’abord s’agir de manœuvres frauduleuses pour tromper l’autre partie. Il peut aussi s’agir d’un mensonge, d’une fausse affirmation faite dans le but d’amener le contractant à contracter. En matière de pratiques commerciales fausses ou trompeuses adressées à des consommateurs (art. 217 et s. L.p.c.), la Cour suprême a précisé que le consommateur moyen est crédule et inexpérimenté. Il ne s’agit pas de la personne prudente et diligente. Dans l’évaluation de la véracité d’une représentation commerciale, le tribunal doit procéder en deux étapes : (1) décrire d’abord l’impression générale que la représentation est susceptible de donner chez le consommateur crédule et inexpérimenté; (2) déterminer ensuite si cette impression générale est conforme à la réalité. Dans la mesure où la réponse à cette dernière question est négative, le commerçant aura commis une pratique interdite128. Le commerçant doit donc être vigilant lorsqu’il vante ses produits.

À ces formes d’erreur provoquée s’ajoutent le silence ou la réticence (art. 1401, al. 2 C.c.Q.). Le contractant ne détrompe pas l’autre partie, ou il ne lui dit pas toute la vérité, et il sait que son silence ou son demi-silence amène l’autre partie à contracter, alors qu’elle ne l’aurait pas fait ou qu’elle l’aurait fait à d’autres conditions si elle avait su la vérité.

Le silence comme forme de dol soulève une question intéressante : comment le distinguer de l’erreur simple? Le contractant qui a connaissance de l’erreur de l’autre partie, mais qui ne pose aucun geste pour corriger la situation, commet-il un dol? Il s’agit de dol si on peut prouver l’élément intentionnel du silence. Cette interprétation est conforme à l’exigence de bonne foi dans la formation des obligations (art. 1375 C.c.Q.). Donc, la reconnaissance du silence ou de la réticence comme formes de dol impose une obligation précontractuelle de renseignement à l’autre partie. Cette forme de dol rejoint le droit de la consommation où déjà le silence du commerçant est assimilé à des représentations fausses ou trompeuses (art. 215 et s. L.p.c.).

iii) Les conditions

Le dol doit émaner du cocontractant, ou encore être connu de lui. Par ailleurs, l’erreur ainsi provoquée doit avoir été déterminante dans la décision de contracter, même si le contractant ne subit pas de préjudice économique. La partie victime d’erreur provoquée doit démontrer que, n’eût été de ce dol, elle n’aurait pas contracté ou encore qu’elle l’aurait fait à d’autres conditions. Dans la première hypothèse, on qualifie le dol de principal, alors que, dans la seconde, il s’agit de dol incident. L’évaluation du caractère déterminant doit se faire selon le modèle concret. Le tribunal doit prendre en considération le point de vue du contractant victime du dol. Si le tribunal adoptait plutôt une approche abstraite, sans tenir compte de la position de la victime, les personnes vulnérables ne seraient pas protégées adéquatement.

Comme pour l’erreur simple, le plaignant peut prouver le dol et l’erreur qui en résulte par tous les moyens de preuve admissibles (art. 2803 C.c.Q.).

  1. iv) Les sanctions

Selon les termes de l’article 1407 C.c.Q., le créancier victime d’une erreur provoquée par le dol a le choix de la sanction. Il peut donc demander la nullité du contrat. Dans ce cas, il s’agit de nullité relative (art. 1419 C.c.Q.), qui permet à la victime seule d’intenter cette action. Des dommages-intérêts peuvent s’ajouter à cette demande (art. 1407 C.c.Q.). La remise en état des parties se fait selon les règles relatives à la restitution des prestations (art. 1699 et s. C.c.Q.). Au lieu de l’annulation du contrat, le créancier peut préférer le maintenir et demander une réduction de ses obligations. Alors que certains auteurs considèrent que le recours en vertu de l’article 1457 C.c.Q. n’est pas possible137, d’autres pensent que des dommages-intérêts peuvent s’ajouter à cette demande pour compenser une perte non couverte par la réduction des obligations (art. 1457 C.c.Q.). La prescription est de trois ans à partir de la connaissance du dol (art. 2925 et 2927 C.c.Q.).

Bien que la distinction entre dol principal et incident ne soit plus pertinente, se pose la question des recours. En cas de dol incident, la victime peut-elle demander la nullité du contrat? Selon certains auteurs, dans ce cas, la victime ne pourrait obtenir que des dommages-intérêts ou une réduction de ses obligations, car elle aurait néanmoins conclu le contrat mais à des conditions différentes. Pour d’autres, la victime du dol incident a le droit de manifester une préférence de recours. Enfin, d’autres considèrent que le tribunal jouit de discrétion et peut se demander si l’intérêt de la justice serait mieux servi en accordant à la victime du dol incident une réduction de ses obligations au lieu d’annuler le contrat.

3) La crainte

Les articles 1402 à 1404 C.c.Q. abordent la crainte comme vice de consentement. Après avoir défini le concept, nous traitons des conditions ainsi que des sanctions.

  1. i) La définition

La crainte vicie le consentement à contracter lorsque le contractant donne son consentement de façon non volontaire. Le contractant est sujet à des menaces ou des pressions indues afin de le faire contracter (art. 1402 C.c.Q.). Le contractant victime connaît le contenu du contrat, mais il est obligé de contracter à cause de la crainte qu’il a de la violence sur lui, sur ses biens ou sur d’autres personnes et leurs biens. Il peut s’agir de violence physique ou morale (menace de chantage, diffamation, atteinte à l’honneur et à la réputation).

  1. ii) Les conditions

La crainte doit porter sur un préjudice sérieux ou sur la menace d’un tel préjudice. Elle doit être déterminante du consentement : il ne peut s’agir de simples pressions. Le contractant a donné son consentement ou a consenti à des conditions moins avantageuses en raison de sa crainte. Pour déterminer le caractère sérieux de la crainte, le tribunal a recours à un critère à la fois subjectif et objectif. Le juge apprécie d’abord les circonstances (art. 1402, al. 2 C.c.Q.). Ainsi, il peut tenir compte de l’âge, du sexe, du caractère et des conditions de la personne. La crainte ne peut toutefois résulter du fruit de l’imagination ou de la sensibilité de la victime. Ensuite, le tribunal évalue de façon objective le caractère sérieux de la crainte. À ses yeux, considère-t-il qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait eu la même réaction?

Comme pour l’erreur provoquée, la crainte doit être produite par le contractant ou, à sa connaissance, par un tiers144. Elle peut concerner la personne ou les biens et être exercée contre le contractant ou un tiers. Ici encore, le tribunal doit apprécier les circonstances pour déterminer si la menace exercée contre la personne ou les biens d’un tiers vicie le consentement du contractant (art. 1402, al. 2 C.c.Q.).

L’exercice légitime d’un droit ou d’une autorité, ou la menace d’un tel exercice, n’est pas considéré comme une source de crainte. Par exemple, menacer son débiteur de faire saisir ses biens à défaut de payer une dette devenue exécutoire constitue l’exercice légitime d’un droit et l’engagement du débiteur est valable. Le créancier ne fait qu’exercer son droit. Par contre, l’exercice abusif d’un droit ou d’une autorité, ou la menace d’un tel exercice, constitue une source de crainte qui vicie le consentement (art. 1403 C.c.Q.).

Le contrat signé à cause d’un état de nécessité, par exemple l’obtention d’un emprunt pour satisfaire une demande de rançon, est valide et n’est pas considéré comme vicié par la crainte, si le cocontractant a agi de bonne foi (art. 1404 C.c.Q.). Cependant, lorsque cette situation est exploitée de façon abusive par un cocontractant de mauvaise foi, le consentement de la partie victime est vicié.

L’état de nécessité « circonstancielle »147, c’est-à-dire celle qui n’est pas le fruit d’une intervention humaine mais plutôt des circonstances extérieures économiques désavantageuses, n’est pas accepté comme motif de crainte. Cependant, si le contractant a clairement abusé de la situation économique précaire de son cocontractant, par exemple en imposant un prix élevé ou des conditions de placement très exigeantes, et que le cocontractant a conclu l’entente sous l’effet de la crainte, ce dernier peut soulever que son consentement a été vicié par la crainte. Ce recours, qui rejoint la lésion, peut être plus avantageux que la lésion, puisque la crainte comme vice de consentement est disponible pour tout contractant, ce qui n’est pas le cas de la lésion.

iii) Les sanctions

En cas de crainte, la victime peut faire annuler le contrat et demander des dommages-intérêts. La remise en état des parties se fait alors selon les règles relatives à la restitution des prestations148. Au lieu de l’annulation, la victime peut choisir de maintenir le contrat et demander une réduction des obligations (art. 1407 et 1419 C.c.Q.). Des dommages-intérêts peuvent s’ajouter à cette demande pour compenser une perte non couverte par la nullité ou la réduction des obligations (art. 1457 C.c.Q.). Le délai de prescription est de trois ans à compter de la cessation de la violence ou de la crainte (art. 2925 et 2927 C.c.Q.).

4) La lésion

La lésion constitue, avec d’autres notions, comme celle de clause abusive (art. 1437 C.c.Q.) ou de devoir de bonne foi (art. 1375 C.c.Q.), l’une des manifestations de la nouvelle moralité contractuelle. Bien que ce concept dépasse largement la qualité du consentement, il fait partie des vices du consentement.

  1. i) La définition

Le concept de lésion peut prendre deux sens. D’abord, selon la conception objective, il s’agit de la perte ou du préjudice subi par un contractant en raison d’une disproportion sérieuse de sa prestation par rapport à celle de son cocontractant au jour de la formation du contrat. Le déséquilibre des prestations tient alors au fait qu’une partie a exploité l’autre. Le juge se contente de vérifier l’existence d’une erreur économique entre les parties due à un déséquilibre des prestations. Il s’agit d’une opération mathématique. Cette conception connaît des limites : qu’est-ce qu’une valeur normale? Comment sait-on s’il y a déséquilibre? Que fait-on avec un acheteur qui achète « à tout prix »?

Selon la conception subjective de la lésion, le juge pousse plus loin son analyse et il tient compte de la situation des parties contractantes. Il s’agit d’évaluer le préjudice patrimonial subi par l’une des parties, à la suite de la conclusion d’un contrat. Ainsi, l’achat par un mineur d’équipement électronique de luxe peut être annulé pour cause de lésion, si cet achat le gêne financièrement, même s’il a payé un juste prix149. Ou encore, le tribunal peut annuler la vente d’un bateau à un consommateur qui n’habite pas près d’un plan d’eau, qui est au chômage et qui ne peut s’offrir un tel luxe, bien qu’il ait payé un juste prix (art. 8 et 9 L.p.c.)150.

L’article 1406 C.c.Q. envisage à la fois la lésion objective à l’alinéa 1 et la lésion subjective à l’alinéa 2. Ces deux conceptions trouvent écho dans la Loi sur la protection du consommateur151.

  1. ii) Le champ d’application

Pour ne pas compromettre la stabilité contractuelle, le Code civil a limité les situations où la lésion peut être invoquée152. Elle n’est admise comme vice de consentement qu’à l’égard des mineurs et des majeurs protégés. Elle est donc exclue pour les majeurs, qui sont en principe sains d’esprit et qui ont toute liberté pour contracter, sauf dans les cas expressément prévus par la loi (art. 1405 C.c.Q.).

Comme les règles relatives à l’incapacité des majeurs et des mineurs ont été vues ailleurs153, nous désirons simplement rappeler les effets de la lésion sur les contrats conclus par ces derniers. Nous voyons ensuite les exceptions qui admettent la lésion entre majeurs.

a- Les majeurs sous régime de protection

D’abord, pour le majeur sous curatelle, les actes faits seuls par celui-ci durant la curatelle peuvent être annulés sans qu’il soit nécessaire d’établir un préjudice (art. 283 C.c.Q.). Pour les actes posés par le majeur avant la curatelle, ils peuvent être annulés ou les obligations qui en découlent réduites sur la preuve que l’inaptitude était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés (art. 284 C.c.Q.)154. Malgré la rédaction de l’article 284 C.c.Q., lorsqu’est demandée la réduction des obligations qui découlent des actes posés durant ou avant la curatelle, la preuve du préjudice subi est exigée155. Si la preuve de la notoriété de l’inaptitude ou de la connaissance par le cocontractant n’est pas possible, l’article 1398 C.c.Q. peut s’appliquer en faisant la preuve de l’inaptitude au moment de la conclusion du contrat attaqué156. De même, l’article 8 L.p.c. (lésion subjective) pourrait aussi s’appliquer, si les conditions d’application de cette loi sont réunies.

Pour le majeur sous tutelle, dans le cas d’actes posés seuls par celui-ci durant la tutelle et qui exigent la représentation

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par tuteur, on doit démontrer un préjudice, tout comme dans le cas du mineur (art. 287 C.c.Q.). La notion de préjudice renvoie à celle de lésion subjective (art. 1406, al. 2 C.c.Q.)157. Pour les actes posés avant la tutelle, il s’agit de faire la preuve de la notoriété de l’inaptitude du majeur ou de la connaissance par le cocontractant de cette inaptitude à l’époque où les actes ont été passés (art. 290 C.c.Q.). Si la réduction des obligations est demandée, la preuve du préjudice subi doit aussi être faite158. Pour les actes antérieurs à l’ouverture d’un régime de protection, l’article 1398 C.c.Q. est toujours disponible si on peut faire la preuve spécifique de l’inaptitude lors de la conclusion de l’acte attaqué159.

Quant au majeur assisté d’un conseil, les actes posés après la nomination d’un conseiller peuvent être annulés ou les obligations qui en découlent, réduites, s’il y a preuve d’un préjudice, c’est-à-dire de lésion subjective (art. 294 et 1406, al. 2 C.c.Q.). Pour les actes posés avant la nomination du conseiller, les règles du droit commun s’appliquent : la preuve de l’absence de consentement est suffisante (art. 1398 C.c.Q.)160. De même, l’article 8 L.p.c. (lésion subjective) pourrait aussi s’appliquer, si les conditions d’application de cette loi sont réunies.

Dans tous les cas d’annulation ou de réduction des obligations, il s’agit de nullité relative, puisque l’objectif est de protéger l’incapable (art. 256 C.c.Q.).

b- Les mineurs

Dans le cas de gestes que le mineur peut poser seul, c’est-à-dire pour ses besoins ordinaires et usuels (art. 157 C.c.Q.)161, celui-ci peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent, s’il peut prouver un préjudice (art. 163 C.c.Q.)162. Le terme « préjudice » renvoie à la définition de la lésion subjective (art. 1406, al. 2 C.c.Q.)163.

Dans le cas de gestes qu’il ne peut pas poser seul164, un mineur peut demander la nullité absolue de l’acte sans avoir à prouver de préjudice (art. 161 C.c.Q.). Dans le cas d’actes accomplis par le tuteur sans l’autorisation du tribunal165, le mineur peut en demander la nullité sans avoir à prouver de préjudice (art. 162 C.c.Q.). Pour les actes faits par le tuteur sans l’autorisation du conseil de tutelle166, l’acte peut être annulé ou les obligations qui en découlent réduites, si le mineur en subit un préjudice, qui équivaut à lésion subjective (art. 163 et 1406, al. 2 C.c.Q.).

Cependant, le mineur ne peut pas demander la nullité ou une réduction des obligations pour cause de lésion lorsque le préjudice qu’il subit résulte d’un événement casuel et imprévu qui survient après la conclusion de l’acte (art. 164, al. 1 C.c.Q.). Qu’en est-il du mineur qui ment sur son âge au moment de contracter? La simple déclaration verbale ou écrite167 faite par le mineur qu’il est majeur ne l’empêche pas de demander la nullité ou la réduction des obligations pour lésion (art. 165 C.c.Q.). Par contre, le mineur qui commet des manœuvres frauduleuses, telle la falsification de pièces d’identité, ne profite pas de cette protection et ne pourrait obtenir la nullité du contrat.

Quant au mineur émancipé par simple émancipation, il peut poser les actes que le mineur peut poser seul et faire tous les actes de simple administration (art. 172 et 1301 C.c.Q.). Dans ces cas, il ne peut invoquer la lésion comme vice de consentement. De plus, il peut poser des actes qui excèdent la simple administration; dans ce cas, il doit être assisté de son tuteur (art. 173 C.c.Q.). Si l’acte est accompli sans l’assistance du tuteur, il peut demander la nullité ou la réduction des obligations qui en découlent en faisant la preuve d’un préjudice (art. 173, al. 2 C.c.Q.). Pour les actes qui nécessitent l’autorisation du tribunal, il peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent en faisant la preuve du préjudice, si cette formalité n’a pas été respectée (art. 174 C.c.Q.).

Enfin, soulignons que le mineur ou le majeur protégé, victime de lésion objective, peut se prévaloir de la protection accordée au majeur dans les cas prévus par la loi.

c- Certaines exceptions

La lésion n’est pas admise comme vice de consentement pour une personne qui n’est pas mineure ou majeure sous régime de protection. Cependant, certaines exceptions au principe de l’article 1405 C.c.Q. sont prévues au code, dans la Loi sur la protection du consommateur et dans la Charte des droits et libertés de la personne.

Ainsi, l’article 2332 C.c.Q. donne le pouvoir au juge d’annuler ou de réviser un contrat de prêt d’argent lorsqu’il y a lésion à l’égard de l’une des parties, en tenant compte du risque pour le prêteur et de toutes les circonstances170. Il semble que cet article soit plus large que l’ancien article 1040 c) C.c.B.-C. qui ne touchait que le coût du prêt, soit le taux d’intérêt171. Quant à l’article 424 C.c.Q., il prévoit que la renonciation de l’un des époux, par acte notarié, au partage du patrimoine familial peut être annulée pour lésion. Il en est de même pour la renonciation au partage des acquêts (art. 472 C.c.Q.) et, selon certains, pour le partage d’une succession (art. 897 C.c.Q.).

Dans ces cas expressément prévus par la loi, le contractant, qui n’est ni un mineur, ni un majeur protégé et qui désire faire valoir la lésion, doit prouver la disproportion importante entre les prestations lors de la formation du contrat. Comme l’article 1406, al. 2 C.c.Q. limite la conception subjective aux mineurs et majeurs protégés, il s’agit ici d’un critère objectif173. Le contractant victime jouit alors d’une présomption simple d’exploitation (art. 2847, al. 2 C.c.Q.) et l’autre partie doit prouver l’absence d’exploitation pour se décharger de cette présomption.

Bien qu’ils n’emploient pas l’expression « lésion », d’autres articles du code utilisent des expressions qui semblent proches de ce concept, telles « préjudice sérieux », « préjudiciable », ou « abusif ». Ainsi, la quittance ou le règlement que la victime signe dans les 30 jours d’un préjudice corporel ou moral peut être annulé s’il lui est préjudiciable (art. 1609 C.c.Q.). Dans le cas d’une vente d’immeuble à usage d’habitation faite par le constructeur d’immeuble ou par le promoteur à une personne physique, si cette vente n’est pas précédée d’un contrat préliminaire, elle peut être annulée si l’acheteur démontre qu’il en subit un préjudice sérieux (art. 1793 C.c.Q.). À notre avis, dans ces cas, le demandeur n’a pas à faire la preuve de la lésion telle que l’exige l’article 1406 C.c.Q., c’est-à-dire de faire la preuve de la disproportion importante. La preuve du préjudice sérieux ou du préjudice est suffisante. De la même façon, la loi sanctionne les clauses abusives qui désavantagent une partie d’une manière excessive et déraisonnable (art. 1437 C.c.Q.). Comme nous le verrons plus loin, l’interprétation que la Cour d’appel a donnée de la clause abusive la rapproche de la notion de lésion.

Les articles 8 et 9 L.p.c. constituent une autre exception importante au principe de l’article 1405 C.c.Q.179. L’article 8 L.p.c. prévoit deux situations où le consommateur peut invoquer une disproportion entre les prestations et demander la nullité ou la réduction des obligations qui en découlent. Il peut d’abord établir qu’en contrepartie de ce qu’il a reçu, l’autre partie a exigé de lui une prestation nettement disproportionnée. Il s’agit alors de lésion objective. Il peut aussi prouver que les obligations qu’il a contractées sont excessives, abusives ou exorbitantes. Dans ce dernier cas, qui relève plutôt de la lésion subjective, le tribunal doit tenir compte de la condition des parties, des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu et des avantages qui en résultent pour le consommateur (art. 9 L.p.c.). On remarque que le concept de lésion du Code civil et celui de disproportion de la Loi sur la protection du consommateur se rejoignent sur l’idée d’exploitation.

Enfin, l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne offre des moyens de protection supplémentaire en cas d’exploitation de personnes vulnérables lorsque la notion limitée de lésion du Code civil n’apporte aucune solution. L’article prévoit que « [t]oute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d’être protégée contre toute forme d’exploitation »181. La Cour d’appel a adapté une interprétation large de cet article. Le tribunal reconnaît à la fois la similitude entre la lésion et l’exploitation plus large et va au-delà du consentement à un acte juridique. Dans son évaluation de la vulnérabilité et de l’exploitation de la personne âgée ou handicapée, le tribunal considère certains facteurs comme sa santé, son éducation, sa situation d’isolement, son expérience des affaires et du marché du travail. Il analyse aussi la situation de l’autre personne à qui l’on reproche l’exploitation. La personne exploitée peut demander les recours prévus par l’article 49 de la Charte, dont l’annulation de l’acte, l’attribution de dommages-intérêts compensatoires et punitifs.

iii) Les sanctions

Dans les cas exceptionnels où la lésion entre personnes majeures est permise, la victime peut demander la nullité de l’acte; elle peut aussi ajouter une demande en dommages-intérêts (art. 1407 C.c.Q.). La remise en état des parties se fait selon les règles relatives à la restitution des prestations (art. 1699 et s. C.c.Q.)183. La victime peut aussi maintenir le contrat, mais demander une réduction de ses obligations (art. 1407 C.c.Q.). La preuve du préjudice subi sera alors nécessaire184. Des dommages-intérêts peuvent s’ajouter à cette demande pour compenser une perte non couverte par la nullité ou la réduction des obligations (art. 1457 C.c.Q.). Également, en cas de lésion, le tribunal peut décider malgré tout de maintenir le contrat dont la nullité est demandée, si le défendeur offre une réduction de sa créance (art. 1408 C.c.Q.)185. Le défendeur se trouve ainsi à rétablir l’équilibre contractuel et la stabilité des contrats est protégée186. En cas de lésion dans un prêt d’argent, la victime peut aussi demander une révision des modalités (par exemple, modifier les échéances ou le taux d’intérêt, art. 2332 C.c.Q.). Le délai de prescription est de trois ans à partir de la connaissance de la lésion (art. 2925 et 2927 C.c.Q.).

  1. Les autres conditions essentielles

Au consentement, s’ajoutent d’autres conditions essentielles à la formation du contrat : la capacité, la cause, l’objet, et les formalités.

  1. a) La capacité et l’aptitude

L’article 1385 C.c.Q. prévoit que le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter. L’article 1409 C.c.Q. renvoie au livre Des personnes pour les règles relatives à la capacité d’exercice. Quant à la capacité de jouissance, le législateur en traite dans différentes dispositions éparses (par exemple, aux articles 1783 et 1817 C.c.Q.).

Comme ces règles ont déjà été étudiées, nous désirons simplement distinguer deux situations : l’incapacité et l’inaptitude. Lorsqu’un régime de protection est ouvert en faveur d’un majeur, les contrats qu’il a conclus antérieurement et postérieurement à l’ouverture du régime peuvent être annulés ou les obligations qui en découlent, réduites à certaines conditions. Mais seul le majeur sous régime de protection bénéficie de ces mesures spéciales. Le majeur qui ne fait pas l’objet d’un tel régime n’est donc pas protégé. Cependant, comme l’article 1398 C.c.Q. prévoit que le consentement doit être donné par une personne apte à s’obliger, c’est-à-dire par une personne qui a conscience de ses gestes, cette dernière peut prouver qu’elle n’était pas en mesure de donner son consentement. Donc, une personne temporairement inapte à donner un consentement, mais dont l’état ne justifie pas l’établissement d’un régime de protection, peut se prévaloir de la protection accordée à l’article 1398 C.c.Q. Ce pourrait être le cas, notamment, d’une personne gravement intoxiquée au moment de consentir. Le défaut d’aptitude à consentir est sanctionné par la nullité relative (art. 1421 C.c.Q.).

  1. b) La cause

L’article 1385 C.c.Q. précise qu’il est de l’essence du contrat qu’il ait une cause. La cause du contrat, qui est la raison personnelle de l’engagement du contractant (art. 1410 C.c.Q.), se distingue de la cause de l’obligation, qui est la raison objective et impersonnelle qui explique le lien d’obligation entre deux personnes (art. 1371 C.c.Q.). La cause du contrat doit respecter la loi et l’ordre public (art. 1411 C.c.Q.). Les tribunaux utilisent la cause subjective comme instrument de contrôle de la licéité du contrat : si le but du contrat est illicite ou illégal, il pourra être annulé.

  1. c) L’objet

L’objet du contrat, soit l’opération juridique (art. 1412 C.c.Q.)192, se distingue de l’objet de l’obligation, qui est la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers le créancier, c’est-à-dire l’obligation de faire ou de ne pas faire quelque chose (art. 1371 et 1373 C.c.Q.).

L’objet du contrat doit respecter la loi et l’ordre public (art. 1413 C.c.Q.)193. Ainsi, les conventions de procréation ou de gestation pour le compte d’autrui sont nulles de nullité absolue (art. 541 C.c.Q.)194. Le pacte sur une succession future est interdit (art. 631 C.c.Q.).

Quant à l’objet de l’obligation, il doit être possible et déterminé ou déterminable195. De plus, il ne peut être prohibé par la loi ou contraire à l’ordre public (art. 1373, al. 2 C.c.Q.). Le bien, qui est l’objet de la prestation, peut être déterminé quant à son espèce seulement (art. 1374 C.c.Q.), c’est-à-dire que les parties doivent s’être entendues sur le genre et l’espèce du bien196, mais ce bien n’a pas à être individualisé197. De même, la quotité du bien n’a pas à être déterminée, mais elle doit être déterminable (art. 1374 C.c.Q.), c’est-à-dire qu’il est suffisant que les parties au contrat aient prévu la façon dont elle sera déterminée.

  1. d) Les formalités

Bien que l’article 1385 C.c.Q. reconnaisse le principe du consensualisme, exceptionnellement la loi peut imposer des formalités198. De même, les parties peuvent assujettir leur entente à une forme particulière. Dans de tels cas, les formalités constituent une autre condition essentielle à la formation du contrat (art. 1414 C.c.Q.).

B- Les sanctions des conditions de formation du contrat

Si l’une des conditions de formation du contrat n’est pas respectée, la partie victime peut, entre autres, en demander la nullité (art. 1416 C.c.Q.). L’acte est annulé rétroactivement (art. 1422, al. 1 C.c.Q.) et les parties sont remises dans l’état où elles étaient avant sa conclusion (art. 1422, al. 2 C.c.Q.). Les règles en matière de restitution des prestations s’appliquent (art. 1699 et s. C.c.Q.). Voyons donc la théorie générale des nullités et, en complément, d’autres sanctions applicables en cas de défaut de formation du contrat.

  1. La nullité absolue et la nullité relative
  1. a) La distinction

Avant d’aborder le nouveau contenu de la distinction entre la nullité absolue et relative, rappelons brièvement la théorie classique des nullités.

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1) La théorie classique : la nullité de plein droit ou l’annulabilité

Dans la théorie classique, la distinction entre la nullité absolue et la nullité relative était basée sur les conditions d’existence et de validité de l’acte199.

La nullité absolue correspondait à l’ancienne nullité de plein droit, qui sanctionnait l’inexistence du contrat. Comme un élément essentiel à sa formation manquait, le contrat ne pouvait s’être formé. On disait alors que l’acte était mort-né (ou nul ab initio). Comme l’acte n’existait pas, il ne pouvait produire d’effets, ni être confirmé. Quant à la nullité relative, elle se rapportait à l’annulabilité, c’est-à-dire que le contrat, quoique imparfait, pouvait continuer à exister, à moins que l’une des parties ne demande son annulation.

2) La théorie contemporaine : le droit de critique

Le droit civil moderne a abandonné cette conception très critiquée des nullités. La distinction entre la nullité absolue et la nullité relative correspond maintenant à un droit de critique contre l’acte attaqué : qui peut soulever la nullité de l’acte, et cet acte peut-il être confirmé malgré le défaut de formation? Mais la terminologie est la même, ce qui peut créer une certaine confusion200.

Selon la doctrine moderne, la nullité relative protège l’intérêt privé et particulier (art. 1419 C.c.Q.) et elle est demandée par la partie dont l’intérêt est protégé (art. 1420 C.c.Q.). Ainsi, les vices de consentement appellent une nullité relative (art. 1419 C.c.Q.). La nullité absolue protège l’intérêt général (art. 1417 C.c.Q.) et peut être demandée par les deux parties, leurs héritiers, et toute personne qui a un intérêt né et actuel (art. 1418 C.c.Q.)201, tel le procureur général ou les créanciers. Le caractère de la nullité dépend donc de la nature des intérêts protégés par la règle enfreinte202 et les parties à un contrat ne peuvent modifier cette qualification203.

Cependant, il ne faut pas conclure qu’il y aura nullité absolue chaque fois que l’ordre public entre en jeu : le non-respect d’une loi d’ordre public ne commande pas nécessairement une nullité absolue. Ainsi, la Loi sur la protection du consommateur est une loi d’ordre public, c’est-à-dire que les parties ne peuvent y déroger conventionnellement au détriment du consommateur (art. 261 et 262 L.p.c.), mais le non-respect de son Titre 1 appelle une nullité relative, puisqu’il s’agit d’ordre public de protection, c’est-à-dire destiné à la protection des intérêts particuliers204. La nullité absolue se rattache donc essentiellement à la notion d’ordre public de direction, plutôt qu’à l’ordre public de protection205.

  1. b) Les ressemblances et les différences

Malgré certaines différences fondamentales, les deux formes de nullité partagent des points communs.

D’abord, l’intervention judiciaire est nécessaire : les nullités relative et absolue sont prononcées par le juge. Ensuite, les deux formes de nullité mettent fin au contrat pour l’avenir et détruisent ses effets pour le passé. Le contrat frappé de nullité est réputé n’avoir jamais existé et il y a remise en état des parties (art. 1422 C.c.Q.). Les règles relatives à la restitution des prestations s’appliquent alors (art. 1699 et s. C.c.Q.)206.

Les nullités peuvent être invoquées soit par une action directe pour faire prononcer la nullité, soit par voie d’exception lorsque l’autre partie intente le recours. Quant au délai de prescription, il est de trois ans pour les deux sortes de nullité (art. 2925 et 2927 C.c.Q.)207. Il est à noter que les moyens de défense ne se prescrivent pas (art. 2882 C.c.Q.). Il est donc toujours possible de faire valoir la nullité de l’acte en défense, même si le délai est écoulé, à la condition qu’elle ait pu constituer un moyen de défense valable à l’action, au moment où elle pouvait encore fonder une action directe.

Quant aux différences, les deux sortes de nullité se distinguent par les titulaires de l’action en nullité et par la possibilité d’une confirmation.

En principe, la nullité relative ne peut être invoquée que par la ou les seules personnes que la loi entend protéger. Ainsi, les vices de consentement ne peuvent être

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soulevés que par la partie victime de ceux-ci (art. 1419 C.c.Q.) ou les héritiers (art. 1441 C.c.Q.) et les ayants cause à titre particulier (art. 1442 C.c.Q.), tel l’acheteur. Dans le cas d’incapacités d’exercice, le tuteur, le curateur, ou le conseil peuvent demander l’annulation de l’acte.

Par exception, la nullité relative peut aussi être invoquée par le cocontractant de celui qui est protégé par la nullité relative, s’il est de bonne foi et s’il subit un préjudice sérieux par le maintien du contrat (art. 1420 C.c.Q.). Par cet article, le législateur voulait « apporter une solution au problème qui peut se poser lorsque celui qui bénéficie de la protection de la nullité ne confirme pas le contrat qui en est frappé sans en demander la nullité, ou n’est pas en mesure de le faire »208. Le cocontractant peut alors mettre fin à l’état d’incertitude qui pèse sur le contrat en demandant la nullité. Tout d’abord, ce cocontractant doit être de bonne foi pour demander la nullité. Il ne peut donc pas présenter une telle action, par exemple, s’il a commis un dol, ou encore s’il connaissait l’incapacité de son cocontractant. Ensuite, il doit subir un préjudice sérieux par le maintien du contrat. Le préjudice sérieux dont il est question doit nécessairement résulter des circonstances qui entourent le sort du contrat, et non du contenu de l’acte lui-même. Par exemple, le cocontractant, placé dans une situation d’incertitude, peut demander la nullité du contrat signé avec un mineur devenu majeur qui ne confirme pas un acte entaché de nullité. Il doit donc offrir à la partie faible d’opter entre l’annulation et la confirmation de l’acte. Il y aura incertitude seulement si la partie faible ne répond pas ou néglige de le faire209. Par ailleurs, en cas de nullité relative double, par exemple lors d’erreur sur la nature du contrat ou sur l’objet de la prestation, chacun des contractants qui a commis une erreur peut alors demander la nullité.

Quant à la nullité absolue, toute personne qui a un intérêt né et actuel peut s’en prévaloir (art. 1418 C.c.Q.), afin que soient multipliées les chances d’annulation. L’intérêt effectif, né et actuel de prendre une action en justice est défini par le droit judiciaire privé210. Il peut s’agir des parties au contrat, de tiers qui justifient d’un intérêt particulier211, ou de créanciers qui peuvent intenter une action en nullité absolue, à l’encontre des actes passés par leur débiteur212. Le tribunal peut même l’invoquer d’office (art. 1418 C.c.Q.)213.

Les deux nullités se distinguent aussi par la possibilité de confirmation. La confirmation d’un contrat entaché de nullité absolue est juridiquement impossible (art. 1418, al. 2 C.c.Q.)214. Les parties ne peuvent que faire un nouveau contrat, conforme aux conditions de formation, si telle chose est possible. L’intérêt général exige l’anéantissement effectif de l’acte. Un acte susceptible de nullité relative peut être confirmé, car seuls les intérêts particuliers sont protégés (art. 1420 C.c.Q.). La confirmation d’un acte annulable exige deux conditions essentielles, soit la connaissance du défaut de formation et l’intention de confirmer le contrat, lesquelles peuvent être prouvées par des présomptions de fait215. Cependant, la volonté de confirmer doit être certaine et évidente (art. 1423, al. 2 C.c.Q.). Elle peut être tacite, mais elle ne doit pas être équivoque216. Selon les Commentaires du ministre de la Justice, l’exigence d’une volonté certaine et évidente est « destinée à contrer la sévérité d’une certaine jurisprudence qui considère, bien souvent, que le seul fait, pour un contractant, de ne pas intenter l’action en nullité dans un délai raisonnable de la découverte de la cause de nullité entachant le contrat, équivaut pratiquement à une confirmation tacite de celui-ci »217. La confirmation a pour effet d’emporter renonciation à invoquer la nullité.

  1. Les effets des nullités

Les effets juridiques pour les deux genres de nullité sont identiques. La nullité met fin au contrat pour l’avenir (art. 1422 C.c.Q.).

La nullité anéantit aussi rétroactivement tous les effets produits par le contrat (art. 1422 C.c.Q.). Si le contrat a été partiellement ou totalement exécuté, les parties doivent donc être remises dans le même état qu’avant la formation du contrat. Interviennent ici les règles relatives à la restitution des prestations (art. 1699 et s. C.c.Q.)218.

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Dans la plupart des cas, un contrat affecté d’un défaut de formation est annulé en entier. Il faut toutefois se garder de croire que la nullité est nécessairement totale. En effet, il arrive que seule une partie du contrat soit affectée de nullité. Par exemple, l’une des obligations générées par le contrat s’avère contraire à l’ordre public219. Alors, il peut y avoir nullité partielle, c’est-à-dire que seule la partie du contrat concernée par le défaut de formation est annulée, à moins que le contrat apparaisse comme un tout indivisible (art. 1438 C.c.Q.).

  1. Le domaine des nullités en matière contractuelle

Traçons maintenant un tableau des différentes sortes de nullité en cas de non-respect des éléments essentiels à la formation du contrat. D’abord, rappelons la présomption simple selon laquelle le contrat, qui n’est pas conforme aux conditions nécessaires à sa formation, est frappé de nullité relative (art. 1421 C.c.Q.).

En cas de vices de consentement (erreur simple ou provoquée, crainte, ou lésion) ou en cas d’inaptitude à consentir (art. 1398 C.c.Q.), il convient d’appliquer la nullité relative (art. 1419 C.c.Q.).

Comme les incapacités d’exercice sont établies pour la protection de l’incapable, le non-respect doit être sanctionné par une nullité relative (art. 1421 C.c.Q.), à moins d’indication contraire de la loi220. Quant aux incapacités de jouissance, qui sont établies pour la protection de l’intérêt général, elles commandent une nullité absolue221.

En cas de cause ou d’objet du contrat prohibé par la loi ou contraire à l’ordre public, il s’agit de nullité absolue222. D’autres auteurs considèrent plutôt les buts de la règle d’ordre public transgressée223. Si le caractère illicite de la cause ou de l’objet touche l’intérêt général (ordre public de direction), il s’agit alors de nullité absolue. Si le caractère illicite concerne plutôt des intérêts privés (ordre public de protection), la nullité relative s’applique. Par ailleurs, en cas d’objet de l’obligation impossible ou encore qui n’est pas déterminé ou déterminable, il convient de recourir à la nullité relative.

En matière d’inobservation d’une condition de forme, le caractère de la nullité dépend de la nature de la formalité. Dans le cas des formalités dictées par l’intérêt général, il s’agit d’une nullité absolue224. Le non-respect des formalités de protection est sanctionné par une nullité relative (art. 1419 C.c.Q.). Dans le cas de formalités de preuve, tel l’accomplissement de formalités de publicité, il n’est pas question de nullité, mais bien d’inopposabilité de l’acte à l’égard des tiers (art. 2941 C.c.Q.).

  1. Les autres sanctions

Lorsque le défaut de formation résulte d’une faute du cocontractant, la victime peut non seulement demander l’annulation de l’acte, mais aussi des dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi. En cas d’erreur dolosive, de crainte et de lésion, la victime peut, au lieu de l’annulation, demander le maintien du contrat et une réduction des obligations (art. 1407 C.c.Q.)225. En cas de lésion, le tribunal peut maintenir le contrat lorsque le cocontractant offre une réduction de sa créance (art. 1408 C.c.Q.).

L’article 1407 C.c.Q., s’il fournit des indications utiles en cas de défaut de formation du contrat, présente néanmoins certaines difficultés. Comme nous l’avons mentionné précédemment226, se pose le problème de l’omission de l’erreur simple parmi les vices du consentement qui donnent droit à des dommages-intérêts; il nous semble que ce recours devrait être reconnu en cas de faute du cocontractant qui entraîne l’erreur de la victime (art. 1457 C.c.Q.). Par ailleurs, on peut se demander s’il est exact d’affirmer que le contractant qui opte pour le maintien du contrat doit se contenter d’une réduction de ses obligations « équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer ». En effet, les dommages-intérêts peuvent, à notre avis, s’ajouter à une réduction des obligations de la victime lorsqu’un préjudice distinct a été causé et ne peut être réparé par la seule réduction des obligations (art. 1457 C.c.Q.). Par exemple, l’acheteur d’un terrain constate que la superficie est inférieure à celle prévue au contrat; la seule réduction du prix de vente n’est alors pas suffisante pour réparer le préjudice subi, si le défaut de contenance l’empêche de procéder à un projet de construction et entraîne, du même coup, des pertes de profit

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importantes227. Enfin, soulignons que les défauts de formation autres que les vices du consentement devraient donner lieu à une condamnation en dommages-intérêts à la charge de la partie dont la faute est à l’origine de la nullité (art. 1457 C.c.Q.), et ce, même en l’absence de dispositions spécifiques en ce sens. Ce pourrait être le cas de la partie qui poursuit un but illicite par le contrat (art. 1411 C.c.Q.) ou de celle qui a contracté malgré l’incapacité de jouissance énoncée par la loi228.

2- Les effets du contrat

Le contrat valablement formé oblige les parties qui l’ont conclu (art. 1434 C.c.Q.). Quant aux tiers, ils ne sont pas liés par le contrat (art. 1440 C.c.Q.), qui a un effet relatif limité aux parties, mais l’acte leur est opposable.

Voyons d’abord les effets du contrat entre les parties et ensuite à l’égard des tiers.

A- Les effets du contrat entre les parties

  1. La force obligatoire et le contenu obligationnel du contrat

Selon l’article 1434 C.c.Q., les parties sont liées par le contenu du contrat229.

De ce principe découlent les conséquences suivantes. D’abord, le contrat a force obligatoire : le créancier peut forcer le débiteur récalcitrant à exécuter ses obligations, soit en nature, soit par équivalent pécuniaire (art. 1590 C.c.Q.)230. Ensuite, le contrat est irrévocable : les parties ne sont pas libres de le révoquer de façon unilatérale, quoiqu’elles puissent convenir ensemble d’y mettre fin, ou encore invoquer les raisons que la loi reconnaît à cet effet (art. 1439 C.c.Q.)231. Enfin, le contrat ne peut être modifié unilatéralement : les parties sont liées par son contenu232, à moins d’avoir prévu une clause de modification unilatérale au contrat. Dans ce cas, les termes de la clause dûment négociée doivent être suffisamment clairs, avoir un objet déterminé et une prestation déterminable selon les articles 1373 et 1374 C.c.Q.233. En principe, le juge est également lié. Afin d’assurer la stabilité des contrats, il ne peut intervenir pour en modifier le contenu, et ce, même si un changement imprévu de circonstances rend l’exécution de l’obligation d’une partie plus onéreuse234.

Cependant, comme nous l’avons vu, le tribunal peut modifier la portée des obligations des parties en cas de vices de consentement. Ainsi, il peut réduire les obligations de la partie désavantagée (art. 1407 C.c.Q.). En cas de lésion, il peut même décider de maintenir le contrat dont la nullité lui est demandée, lorsque la partie avantagée offre une réduction de sa créance ou un supplément pécuniaire équitable (art. 1408 C.c.Q.). En cas de prêt d’argent lésionnaire, il peut en modifier les modalités (art. 2332 C.c.Q.).

Dans le but d’atteindre un meilleur équilibre contractuel, le Code civil a également accordé un grand pouvoir d’intervention au juge dans les contrats de consommation (art. 1384 C.c.Q.) et d’adhésion (art. 1379 C.c.Q.) par les articles 1435 à 1437 C.c.Q. Ainsi, dans ces types de contrats, les clauses externes, illisibles ou incompréhensibles, ou encore abusives sont susceptibles de désavantager le consommateur ou l’adhérent. C’est pourquoi le tribunal peut les déclarer nulles ou, dans le cas d’une clause abusive, en plus de la nullité, s’ajoute la possibilité de réduire l’obligation qui en découle.

D’abord, le Code civil prévoit un régime particulier en matière de clause de renvoi à un document externe235. Il s’agit de la clause qui n’apparaît pas dans le texte du contrat et à laquelle renvoie le contrat sans en reprendre les termes236. Par exemple, un contrat de franchise renvoie au manuel du franchisé, ce dernier étant un document séparé

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du premier. Pour les documents sur support-papier, les tribunaux utilisent le critère de la séparation physique entre la clause de renvoi et la clause externe. Ainsi, la clause qui apparaît au dos d’un contrat ou la clause sur un document broché au reste du contrat ne peuvent être considérées comme des clauses externes. Dans le cas d’un support électronique (contrat conclu sur Internet), la clause sera considérée comme externe et ne faisant pas partie intégrante du contrat si elle n’est pas facilement accessible à l’internaute, si elle requiert des manœuvres complexes pour accéder à sa lecture237. Ce genre de clause est valide dans les contrats de gré à gré (art. 1435, al. 1 C.c.Q.)238, même si le cocontractant n’en connaît pas le contenu ou n’en a pas reçu copie. Dans le contrat de consommation ou d’adhésion, en plus de la présence de la clause expresse de renvoi, s’ajoute une obligation d’information. La clause externe à laquelle renvoie le contrat est nulle, si l’autre partie ne l’a pas portée à la connaissance du consommateur ou de l’adhérent lors de la formation du contrat (art. 1435, al. 2 C.c.Q.)239. Le consommateur ou l’adhérent n’a pas à prouver son préjudice. En défense, l’autre partie peut tenter de prouver que, malgré le non-respect de son obligation d’information, le consommateur ou l’adhérent avait une connaissance effective de la clause externe. Il ne suffirait pas de prouver que le consommateur ou l’adhérent aurait dû en avoir connaissance. Il est à noter que cet article ne retient pas l’usage courant comme moyen de défense, puisque le consommateur ou l’adhérent ne connaît pas toujours les usages courants du domaine240.

Dans le cas du contrat de consommation régi par la Loi sur la protection du consommateur, les clauses externes dans le contrat à distance sont interdites, puisque le commerçant doit divulguer au consommateur toute une série de renseignements avant la conclusion du contrat (art. 54.4 L.p.c.). Ces renseignements doivent être présentés de manière évidente et intelligible et avoir été portés expressément à la connaissance du consommateur.

Ensuite, toujours dans le but d’assurer un meilleur équilibre contractuel, la clause illisible, par exemple imprimée en caractères très petits, ou encore dissimulée, ou la clause incompréhensible, rédigée dans un vocabulaire très technique ou déficient, est nulle (art. 1436 C.c.Q.)241. Ici, le code utilise le modèle d’évaluation de la personne raisonnable. La Cour suprême a précisé que le concept du « consommateur moyen » n’évoque pas, en droit québécois de la consommation, la notion de personne raisonnablement prudente et diligente. Il renvoie encore moins à la notion de personne avertie. Il s’agit plutôt d’un consommateur crédule et inexpérimenté242. Que l’on soit d’accord ou pas avec cette façon de voir le consommateur243, le modèle du consommateur crédule et inexpérimenté devra, il nous semble, aussi être appliqué au Code civil. Il n’est pas possible de maintenir deux définitions du consommateur : une en matière de publicité trompeuse et une autre en matière contractuelle. Quant au préjudice, il découle du caractère illisible ou incompréhensible de la clause. Encore ici, l’autre partie peut tenter de prouver que, malgré le caractère illisible ou incompréhensible de la clause attaquée, le consommateur ou l’adhérent a reçu les explications adéquates pour comprendre cette clause. Ces explications doivent avoir été données au moment pertinent pour éviter la survenance du préjudice, ce qui permet d’imaginer des cas où elles ont été données après la formation du contrat244.

Par ailleurs, on peut noter certains points communs entre l’article 1436 C.c.Q. et l’erreur simple sanctionnée par l’article 1400 C.c.Q. En effet, une même situation peut être analysée sous l’angle de l’erreur simple ou encore sous celui du caractère illisible ou incompréhensible d’une clause du contrat d’adhésion ou de consommation. La particularité de l’article 1436 C.c.Q. est de prévoir la nullité de la clause tout en maintenant le contrat (sous réserve de l’article 1438 C.c.Q.), alors que l’erreur simple ne permet pas une réduction des obligations (art. 1407 C.c.Q.). Dans le cas d’une clause illisible ou incompréhensible qui apparaît dans un contrat qui n’est pas d’adhésion ou de consommation, la partie trompée peut demander la nullité du contrat en soulevant l’erreur simple, du moins si les conditions propres à ce vice du consentement sont remplies (art. 1400 C.c.Q.)245.

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La notion de clause incompréhensible doit être distinguée de la lésion. Alors que la première vise la qualité de la compréhension et de la connaissance par le cocontractant, la deuxième vise plutôt l’iniquité dans le contenu du contrat246.

L’article 1436 C.c.Q., qui sanctionne la clause incompréhensible, doit être distingué des articles portant sur l’interprétation des contrats (art. 1425 et 1432 C.c.Q.). Si le tribunal considère que la clause en litige a plusieurs sens, il devra retenir le sens qui avantage l’adhérent ou le consommateur (art. 1432 C.c.Q.). S’il considère que la clause est plutôt incompréhensible, il pourra l’annuler (art. 1436 C.c.Q.)247.

Enfin, le Code civil intervient dans le contrat de consommation et d’adhésion pour corriger les injustices causées par les clauses abusives (art. 1437 C.c.Q.). Ces clauses sont nulles ou les obligations qui en découlent réductibles. La clause abusive est celle qui désavantage le consommateur ou l’adhérent d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi (art. 1437, al. 2 C.c.Q.)248. Le caractère excessif d’une clause peut être évalué à partir d’un critère objectif (sans tenir compte des circonstances particulières à l’espèce) ou subjectif (en tenant compte des circonstances particulières à l’espèce)249. Quant au caractère déraisonnable de la clause, le tribunal doit analyser les prestations et les avantages découlant du contrat pour les deux parties. Le caractère fréquent d’une clause dans un contrat (une clause standard) n’exclut pas automatiquement la possibilité de clause abusive250. Le respect de la bonne foi doit guider les tribunaux qui jouissent d’un grand pouvoir d’interprétation. L’évaluation du caractère excessif et déraisonnable de la clause doit se faire lors de l’engagement des parties, pour éviter de confondre la clause abusive avec l’imprévision. Mais dans certains cas, une clause qui n’est pas abusive en soi peut le devenir lors de son application. Alors, le tribunal prendra en considération dans l’évaluation du caractère abusif les circonstances entourant l’application de la clause251.

Le législateur complète cette définition par un exemple : est abusive la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu’elle dénature celui-ci. Des exemples tirés de la jurisprudence permettent d’illustrer le rôle de l’article 1437 C.c.Q.252. Ainsi, dans un contrat de construction d’infrastructures, a été jugée abusive la clause par laquelle le maître de l’ouvrage se dégageait de toute responsabilité pouvant découler des renseignements géotechniques qu’il avait fournis à l’entrepreneur en construction253. De même, dans un contrat d’assurance, le tribunal a considéré qu’une clause qui obligeait l’assuré à dénoncer un sinistre de pollution souterrain dans un délai de 120 heures était abusive254.

Bien que les articles 1435, 1436 et 1437 C.c.Q. visent une meilleure justice contractuelle, ils ont un champ d’application différent. Les articles 1435 et 1436 C.c.Q. s’intéressent à la qualité du consentement, tandis que l’article 1437 C.c.Q. encadre l’équité du contenu du contrat255.

La notion de clause abusive se rapproche de celle de lésion. Il n’est pas facile de délimiter le champ d’application des deux notions256. Ainsi, la protection accordée par l’article 1437 C.c.Q. devrait-elle se limiter aux clauses accessoires du contrat ou s’étendre à un élément fondamental, tel un défaut d’équivalence entre les prestations contractuelles, comme le fait la prohibition de la lésion? Les tribunaux auront à préciser les champs d’application de ces deux notions. La clause portant sur le prix pourrait-elle être considérée comme abusive au sens de l’article 1437 C.c.Q. et être réduite par le tribunal?257 Un arrêt de la Cour d’appel semble aller dans ce sens258. Le

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tribunal a déclaré abusive une clause essentielle, dans un contrat de parrainage en matière d’immigration, qui prévoyait que le parrain devait payer une certaine somme pendant un certain temps pour subvenir aux besoins de sa famille qui avait ainsi pu immigrer au Canada. Le tribunal précise que le contrat d’adhésion « ne doit pas devenir un instrument d’exploitation du plus fort pour le plus faible »259.

Par ailleurs, les conditions d’application et les effets de ces deux notions présentent certaines similarités. La définition de l’article 1437 C.c.Q. rejoint l’idée d’exploitation exprimée à l’article 1406 C.c.Q. et à l’article 8 L.p.c. Quant aux effets, une clause abusive peut être annulée, mais tout le contrat peut aussi être annulé s’il est considéré comme un tout indivisible (art. 1438 C.c.Q.)260. En cas de lésion, le contrat peut être annulé ou les obligations qui en découlent, réduites (art. 1407 et 1408 C.c.Q.).

Même si le contenu du contrat de gré à gré découle de négociations, certaines clauses à caractère abusif peuvent y avoir été insérées. La partie ainsi désavantagée (qui n’est ni consommateur, ni adhérent) peut soulever d’autres mesures de protection, telles les notions d’ordre public, de bonne foi ou la qualité du consentement261.

Les protections accordées par les articles 1435 à 1437 C.c.Q. à l’adhérent et au consommateur ne peuvent être contournées par l’ajout de clauses de style qui prévoient que « les dispositions du contrat n’ont pas été imposées, elles ont été librement discutées, le signataire a reçu les explications adéquates et il se déclare satisfait du caractère lisible et compréhensible de celles-ci ». Ces clauses tentent de rendre sans effet les articles 1435 à 1437 C.c.Q., qui sont d’ordre public, ainsi que la notion même de contrat d’adhésion. En signant un contrat qui contiendrait ce genre de clause, la partie que le Code civil veut protéger renoncerait à ces protections. Ces clauses sont donc nulles262. Par ailleurs, en supposant que ces clauses puissent être valides – ce dont nous doutons – se pose une question de preuve. Le consommateur ou l’adhérent qui veut faire annuler une clause illisible, incompréhensible ou abusive peut-il présenter une preuve par témoignage pour contredire le contenu de la clause et mettre en preuve les véritables circonstances qui ont entouré la signature du contrat? La preuve par témoignage est admise, car il s’agit d’attaquer la validité de cette clause en prouvant l’absence de consentement du consommateur ou de l’adhérent (art. 2864 C.c.Q.)263.

Les parties sont donc liées par le contenu implicite et explicite du contrat, sous réserve de la loi, de l’ordre public et du pouvoir d’intervention du juge pour assurer une moralité contractuelle. La détermination du contenu implicite du contrat appelle par ailleurs quelques précisions. Les obligations implicites découlent de la nature du contrat, des usages, de l’équité ou de la loi (art. 1434 C.c.Q.)264. La nature du contrat joue un rôle particulièrement important quant aux obligations implicites, notamment les obligations de sécurité265, de renseignement, de mise en garde et de conseil, de collaboration266. La loi participe également de façon significative à la détermination du contenu implicite d’un contrat, puisque les dispositions législatives se greffent au contrat par l’article 1434 C.c.Q. Plusieurs de ces dispositions se trouvent au Code civil, notamment au titre des contrats nommés (art. 1708 à 2643 C.c.Q.). Il peut aussi s’agir de lois particulières ou de règlements267. Pensons, par exemple, à la Loi sur la protection du consommateur et à la Charte des droits et libertés de la personne, qui ajoutent des obligations aux parties. Quant aux usages, qui sont des pratiques généralement suivies dans un milieu, ils peuvent aussi compléter le contrat268. On les trouve surtout dans le domaine des affaires269. L’équité peut également imposer des obligations implicites aux parties. Ainsi, l’équité impose aux parties une obligation de bonne foi.

  1. L’interprétation des clauses du contrat

Dans certains cas, les termes du contrat ne sont pas clairs. Par l’interprétation du contrat, le juge doit préciser l’intention des parties. Les articles 1425 à 1432 C.c.Q. sont destinés à aider le juge dans sa tâche d’interprète.

Dans ce domaine, deux écoles s’affrontent. Certains considèrent que le juge a pour tâche de découvrir l’intention des parties. Il se contenterait ici d’un rôle passif. Pour d’autres, le juge supplée à l’intention des parties, car souvent ces dernières ont elles-mêmes négligé cet aspect. Le juge jouerait alors un rôle actif. Peu importe la position choisie, il faut bien admettre qu’une décision sur l’ambiguïté ou la clarté d’un texte équivaut en fait à une décision d’interprétation271.

Nous nous contentons ici de rappeler le principe de base en matière d’interprétation : on doit rechercher l’intention commune des parties, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes (art. 1425 C.c.Q.)272. Dans la recherche de cette intention commune, on doit tenir compte de certains éléments extérieurs au contrat, comme les circonstances dans lesquelles il a été conclu, les interprétations antérieures et les usages273 (art. 1426 C.c.Q.). À cela s’ajoutent des règles de bon sens qu’il suffit de mentionner brièvement : l’interprétation des clauses les unes par les autres (art. 1427 C.c.Q.), l’importance de donner un sens à une clause (art. 1428 C.c.Q.), le sens convenant le mieux à la matière du contrat (art. 1429 C.c.Q.), le rôle restreint de clauses portant sur des situations particulières (art. 1430 C.c.Q.), les limites aux clauses rédigées en termes généraux (art. 1431 C.c.Q.)274.

L’article 1432 C.c.Q., qui prévoit que le contrat s’interprète, en cas de doute, en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée, profite aussi au consommateur et à l’adhérent.

B- Les effets du contrat à l’égard des tiers

  1. Le principe de l’effet relatif du contrat

Les articles 1440 à 1442 C.c.Q. prévoient le principe de l’effet relatif des contrats à l’égard des tiers. Ce principe signifie que le contrat ne confère pas de droits aux tiers et ne leur impose pas d’obligations. Néanmoins, le contrat leur est opposable (art. 2938 et 2941 C.c.Q.) et ils ne peuvent l’ignorer275.

Cependant, les effets du contrat ne se limitent pas nécessairement aux parties qui l’ont conclu à l’origine. En effet, d’autres personnes peuvent entrer dans le cercle contractuel. Il convient de distinguer la situation de ces parties de celle des véritables tiers.

  1. a) Les héritiers universels et à titre universel

Les héritiers universels sont ceux qui reçoivent à cause de mort la totalité du patrimoine de leur auteur (art. 732 C.c.Q.). Comme ils héritent de tous les biens et tous les droits de celui-ci, ils assument également toutes ses obligations, jusqu’à concurrence des biens qu’ils recueillent (art. 625 et 823 C.c.Q.). Ils continuent la personnalité juridique de leur auteur (art. 1441 C.c.Q.). Ils se trouvent donc, sous réserve de certaines exceptions, liés par les contrats conclus par lui.

Les héritiers à titre universel sont ceux qui, à cause de mort, reçoivent une quote-part du patrimoine de leur auteur (par exemple, un tiers des biens, seulement les meubles, seulement les immeubles, etc., art. 733 C.c.Q.). Ils n’assument dans ce cas qu’un passif proportionnel à l’actif qu’ils reçoivent et ne sont liés par les contrats de leur auteur que jusqu’à concurrence des biens et des droits ainsi acquis.

Ces deux catégories d’héritiers, qui ne sont pas de véritables tiers, sont liées par les contrats passés par leurs auteurs. Cependant, certains contrats ne leur sont pas transmis, parce que leur nature s’y oppose, par exemple, le contrat de travail, ou tout autre contrat intuitu personæ (art. 1441 C.c.Q.).

  1. b) Les ayants cause à titre particulier

L’ayant cause à titre particulier, comme l’acheteur, le cessionnaire, l’héritier d’un bien (art. 734 C.c.Q.), le légataire ou le donataire d’un bien (art. 1823 C.c.Q.), ne continue pas la personnalité juridique de son auteur, contrairement aux héritiers universels ou à titre universel. Il est donc un véritable tiers au contrat. Ainsi, l’acheteur d’un bien n’est pas tenu des dettes de son auteur et ne peut faire valoir les droits de ce dernier.

Cependant, dans certains cas, des contrats peuvent avoir des conséquences sur ces personnes et leur permettre de se prévaloir de droits contractuels. Ainsi, l’ayant cause à titre particulier peut profiter des droits personnels de son auteur s’ils sont intimement attachés à titre d’accessoire au bien ou au droit transmis. À titre d’exemple, dans l’affaire General Motors c. Kravitz276, la garantie contre les vices cachés a été considérée comme un accessoire du bien qui le suit lors de la revente. Cette solution a été reprise à l’article 1442 C.c.Q.277. L’ayant cause à titre particulier peut donc profiter des droits de son auteur, mais ne répond pas de ses obligations.

  1. c) Les tiers

Selon l’article 2644 C.c.Q., les biens du débiteur constituent le gage commun de ses créanciers. Les créanciers ordinaires n’ont aucun moyen de contrôle sur les actes de leur débiteur, lesquels leur sont opposables. Cependant, ces créanciers ont un droit de surveillance sur le patrimoine de leur débiteur : ils peuvent exercer l’action en déclaration de simulation (art. 1452 C.c.Q.), l’action en inopposabilité (art. 1631 C.c.Q.) et l’action oblique (art. 1627 C.c.Q.)278.

Quant aux tiers, qui ne sont pas créanciers de l’une des parties au contrat, ils ne peuvent ignorer les effets d’un contrat. Ainsi, un tiers qui connaît le contenu d’un contrat et qui porte atteinte à sa bonne exécution engage sa responsabilité extracontractuelle vis-à-vis le créancier frustré (art. 1457 C.c.Q.)279.

  1. Les exceptions apparentes au principe de l’effet relatif du contrat

La promesse du fait d’autrui et la stipulation pour autrui sont parfois présentées comme des exceptions au principe de l’effet relatif des contrats. Il convient toutefois d’apporter certaines nuances à cet égard.

  1. a) La promesse du fait d’autrui

La promesse du fait d’autrui (ou de porte-fort) est l’acte par lequel une partie, le promettant (porte-fort), promet à son cocontractant qu’un tiers s’engagera en sa faveur (art. 1443 C.c.Q.). Par exemple, le promettant s’engage à ce qu’un tiers accomplisse une tâche280, le cocontractant s’engage à ce que tout acquéreur futur de l’entreprise adhère à un contrat d’approvisionnement281, ou ne fasse pas concurrence282. Il s’agit donc d’obtenir l’engagement d’autrui et non l’exécution de cet engagement. Il ne faut donc pas confondre la promesse du fait d’autrui et le cautionnement. Contrairement au promettant, la caution s’engage à payer la dette si le débiteur ne s’exécute pas (art. 2333 et 2346 C.c.Q.).

Pour qu’il y ait promesse de porte-fort, deux conditions sont requises : le promettant doit promettre qu’un tiers contractera une obligation, et cette promesse doit s’insérer dans un contrat passé par le promettant en son propre nom283.

Si le tiers accepte de se lier, un lien d’obligation est alors créé et le tiers devient le débiteur du contractant à partir de la date où la promesse du fait d’autrui a été faite. Si le tiers refuse de se lier, alors aucun lien de droit n’existe entre le tiers et le contractant.

Quant au promettant, il s’est engagé à ce que le tiers contracte une obligation. Si le tiers accepte, le promettant est libéré de son obligation. Le tiers est alors lié envers le contractant. Si le tiers refuse, le promettant n’a pas rempli son obligation et il est toujours tenu envers le contractant284.

La promesse du fait d’autrui ne constitue pas une véritable exception à l’effet relatif du contrat, puisque le tiers n’est lié par le contrat que s’il accepte de s’engager285.

  1. b) La stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui constitue un mécanisme bien connu dans le domaine de l’assurance-vie. Par exemple, en cas de décès, l’assuré désire qu’une tierce personne touche le montant du produit de l’assurance. On la rencontre aussi dans le cas de la donation avec charge. Une personne donne sa maison à son enfant avec charge qu’il prenne soin de son autre parent survivant. Elle est également utilisée comme mode d’acquittement du prix en matière de ventes successives286. On trouve aussi ce mécanisme dans les contrats de parrainage en matière d’immigration, dans lesquels un citoyen canadien s’engage auprès du gouvernement du Québec à subvenir pendant une certaine période de temps aux besoins essentiels des membres de sa famille qu’il fait immigrer au Québec287.

La stipulation pour autrui est l’opération juridique par laquelle le promettant s’engage vis-à-vis du stipulant à exécuter une obligation au profit d’un tiers bénéficiaire288. Un tiers, qui n’est pas partie au contrat, devient ainsi créancier contractuel du promettant.

Pour que la stipulation soit valide, le contrat à la base de la stipulation doit aussi l’être. Le bénéficiaire doit être déterminé ou déterminable (art. 1445 C.c.Q.). Il doit accepter la stipulation pour la rendre irrévocable (art. 1446 C.c.Q.). Cependant, l’acceptation par le bénéficiaire ne fait pas naître le lien d’obligation entre lui et le promettant, puisque ce lien existe dès la conclusion du contrat entre le stipulant et le promettant (art. 1444, al. 2 C.c.Q.).

Quant aux effets de la stipulation pour autrui, le stipulant peut la révoquer aussi longtemps que le tiers bénéficiaire ne l’a pas acceptée (art. 1446 et 1448 C.c.Q.)289. Toutefois, l’article 1447, al. 2 C.c.Q. prévoit qu’il ne peut le faire sans le consentement du promettant, lorsque celui-ci a un intérêt dans le maintien de la stipulation. Par exemple, dans le cas d’une vente successive, l’acheteur qui promet de payer le prix de vente à un tiers doit avoir son mot à dire dans la révocation par le stipulant (vendeur). Il a un intérêt à ce que la garantie que détient le tiers et qui grève son bien soit levée.

La stipulation pour autrui crée un lien direct entre le promettant et le tiers bénéficiaire, lequel a le droit d’exiger directement du promettant l’exécution de l’obligation promise (art. 1444, al. 2 C.c.Q.). Cependant, ce dernier peut lui opposer en défense tous les moyens qui résultent du contrat principal passé avec le stipulant lui-même (art. 1450 C.c.Q.), par exemple une clause d’exclusion de responsabilité.

Certains auteurs considèrent que la stipulation pour autrui constitue une véritable exception au principe de l’effet relatif du contrat, puisque le tiers bénéficiaire n’intervient pas au contrat entre le stipulant et le promettant et que son droit naît du seul accord de volonté entre ces derniers. D’autres sont plutôt d’avis qu’il s’agit d’une exception apparente, puisque le tiers bénéficiaire doit accepter la stipulation pour en bénéficier.(1)

(1) Louise Langevin et Nathalie Vézina, Le contrat, Collection de droit Barreau 2016-2017

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