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Le bornage judiciaire (ou extrajudiciaire)

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La démarche appropriée pour une contestation de l’intégrité des titres et/ou des documents sur lesquels l’arpenteur-géomètre a fondé son opinion professionnelle est un bornage.

Le bornage judiciaire (ou extrajudiciaire) est l’opération par laquelle l’arpenteur-géomètre fixe la limite entre deux propriétés voisines de façon permanente. Comme son nom l’indique, cette opération n’est pas nécessairement réalisée à l’amiable entre les propriétaires voisins. Essentiellement, il s’agit de régulariser une incertitude quant à la position d’une limite de propriété alors que les prétentions des propriétaires concernés ne sont généralement pas les mêmes.

Qu’est-ce qu’une incertitude sur une limite de propriété ? « Les limites d’un fonds sont déterminées par les titres, les plans cadastraux et la démarcation du terrain et, au besoin, pas tous autres indices ou documents utiles. » (article 977 du Code Civil du Québec).

L’arpenteur-géomètre qui constate une irrégularité ou une discordance entre les divers documents et/ou l’occupation retrouvée sur le terrain le mentionnera lors d’un mandat de constatation, notamment dans un certificat de localisation. Il peut donc y avoir une incertitude sur une limite de propriété si: Les marques d’occupation retrouvées sur le terrain ne concordent pas avec les titres de propriété et/ou les plans cadastraux ; Les titres de propriété ne concordent pas avec les plans cadastraux ; Les titres de propriété et/ou les plans cadastraux ne sont pas suffisamment clairs pour positionner de façon sans-équivoque les limites séparatives d’une propriété (que ce soit par des mesures linéaires approximatives ou par l’absence de mesures d’angles par exemple) ; Il existe concernant les propriétés à l’étude un surplus de terrain ou encore un déficit de terrain par rapport aux titres de propriété et/ou aux plans cadastraux, lequel surplus ou déficit de terrain devant être partagé entre ces propriétés.

Si la procédure de bornage à l’amiable n’est pas possible du fait que les prétentions des propriétaires concernés diffèrent, l’un ou l’autre peut initier la procédure de bornage judiciaire (ou extrajudiciaire) en vertu de l’article 978 du Code Civil du Québec: « Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contigües pour établir les bornes, rétablir des bornes déplacées ou disparues, reconnaitre d’anciennes bornes ou rectifier la ligne séparative de leurs fonds. Il doit au préalable, en l’absence d’accord entre eux, mettre le voisin en demeure de consentir au bornage et de convenir avec lui du choix d’un arpenteur-géomètre pour procéder aux opérations requises, suivant les règles prévues au Code de procédure civile »

Suite à la mise en demeure de borner, les parties s’entendent sur le choix d’un arpenteur-géomètre qui agira à titre d’expert dans leur litige. Celui-ci aura pour mission d’entendre la preuve présentée par les parties, de procéder à l’analyse de la situation et a proposé la limite qu’il croit être la meilleure en fonction de son analyse et des éléments de preuve qui lui ont été soumis.

Donc la première possibilité est que vous vous entendez avec votre voisin sur la nécessité d’un bornage et vous faites conjointement appel à un arpenteur-géomètre. Ce dernier entendra vos arguments respectifs, ainsi que vos témoins. L’arpenteur-géomètre étudiera aussi tous les documents disponibles, ainsi que les limites des propriétés voisines, avant de déposer un rapport écrit complet.  Si vous et votre voisin acceptez les conclusions du rapport de bornage, vous devez confirmer cet accord dans un écrit signé devant l’arpenteur-géomètre. Par la suite, l’arpenteur-géomètre vous convoquera à l’abornement, c’est-à-dire à la pose des repères, et rédigera le procès-verbal d’abornement qui sera inscrit dans le registre foncier.  La facture de l’arpenteur-géomètre pour les frais de rapport de bornage est partagée également entre les propriétaires. La facture pour les frais d’abornement et de procès-verbal est partagée proportionnellement à la ligne bornée de chaque propriété.

La Deuxième possibilité est que vous et votre voisin étiez d’accord sur la nécessité d’un bornage et sur le choix de l’arpenteur-géomètre, mais malheureusement, vous ne vous entendez pas sur les conclusions du rapport de bornage. Dans un tel cas, la délimitation de vos propriétés devra être déterminée par le tribunal. Au Québec, c’est la Cour supérieure qui a compétence dans ce type d’affaires. Si vous refusez les conclusions du rapport de bornage, vous avez un mois après sa réception pour déposer votre demande auprès du greffe de la Cour supérieure. Ce type de cause étant souvent complexe, vous devrez probablement faire appel à des avocats, supporter de longs délais et assumer des couts parfois élevés.

La Troisième possibilité et la plus onéreuse sera à envisager si votre voisin refuse de faire effectuer un bornage. En premier lieu, vous devez lui envoyer une mise en demeure lui demandant de consentir au bornage, et vous devez respecter les exigences de base prévues pour la rédaction et l’envoi de celle-ci. De plus, votre mise en demeure doit, notamment : comporter la description des terrains en cause; inclure le nom et l’adresse de l’arpenteur-géomètre que vous suggérez pour effectuer le bornage. Si, après avoir reçu votre mise en demeure, votre voisin consent au bornage et s’entend avec vous sur le choix de l’arpenteur-géomètre, les choses se dérouleront telles que décrites ci-dessus à la première ou à la deuxième possibilité. Si votre voisin refuse toujours le bornage malgré la mise en demeure, vous pouvez porter votre cause devant la Cour supérieure. Le tribunal mènera alors l’affaire du début jusqu’à la fin.

Voici quelques principes jurisprudentiels inhérents au bornage :

C’est le bornage qui établit de façon irrévocable la limite entre deux propriétés contigües. Contrairement au piquetage,[1] le bornage fait intervenir les propriétaires voisins.

Le bornage consiste à déterminer la ligne séparative de deux fonds contigus appartenant à des propriétaires différents. Il est donc nécessaire qu’une ligne de démarcation entre deux immeubles appartenant à des propriétaires différents puisse être déterminée.[2]

Aucune des opérations qui entrent dans les attributions d’un arpenteur n’est valide à moins qu’elle n’ait été exécutée par un arpenteur autorisé à pratiquer dans la province. Nulle autre personne n’a qualité pour poser ou planter les bornes prévues par la loi.[3]

Une entente de bornage a les mêmes qualités et comporte les mêmes conséquences qu’un bornage judiciaire. Elle lie les parties et leurs ayants cause. L’effet déclaratif d’un bornage conventionnel est le même que celui d’un bornage judiciaire: il est définitif, a la valeur d’un acte authentique et celle-ci ne peut être remise en cause que pour un motif de nullité.[4]

Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contigües. Le bornage extrajudiciaire doit, pour être valide, remplir deux conditions essentielles. Il doit, en premier lieu, avoir été effectué par un arpenteur-géomètre ayant le droit de pratiquer dans la province. En second lieu, le procès-verbal le constatant doit être signé par l’arpenteur et les deux parties.[5]

Tant que le procès-verbal n’est pas signé par les deux parties, chacune est admise à refuser les opérations de bornage intervenues. Le procès-verbal constatant un bornage, et signé par les parties ou homologué en justice, fait preuve de la contenance et des limites de leurs propriétés. Il a l’effet d’un contrat entre les parties et régit alors leurs relations juridiques.[6]

Le rapport d’un arpenteur-géomètre comporte des erreurs déterminantes lorsque la solution qu’il adopte ne correspond ni à l’occupation physique des lieux ni à l’intention des parties telle qu’exprimée dans les actes de vente.[7]

Si les voisins, ou l’un d’eux refusent le procès-verbal, le bornage doit être fait en justice. L’arpenteur n’a plus alors la compétence requise pour déterminer la délimitation entre les propriétés.[8]

Le tribunal qui constate une erreur, lors de l’arpentage primitif, ne peut le refaire.[9]

Le tribunal ne peut déroger à la règle du partage égal des frais de bornage.[10]

Le rôle du bornage judiciaire n’est pas de refaire les plans primitifs, non plus que les plans officiels, mais de déterminer la ligne séparative entre deux propriétés.[11]

Le bornage n’a pas d’effet rétroactif, mais un effet déclaratif de la position qu’a toujours véritablement eue la ligne séparatrice des propriétés.[12]

Le bornage est donc différent du recours en prescription acquisitive. Toutefois, l’acquéreur d’un terrain déterminé peut prescrire la propriété d’un terrain plus étendu que celui qui lui est attribué par son titre.[13]

La possession, si elle dure pour le temps prévu par la loi (10 ans), permet au possesseur d’opposer à la contenance des titres et au bornage qui y serait décrit, la prescription acquisitive qui le rendra propriétaire du terrain et qui vaudra contre tout autre titre, pourvu qu’il puisse justifier de sa possession, c’est-à-dire en établir l’étendue.[14]

L’action en bornage est imprescriptible. Quel que soit le laps de temps pendant lequel deux fonds sont restés sans être bornés, l’un des propriétaires est toujours fondé à demander à son voisin l’établissement de bornes. Le bornage doit cependant être fait en fonction des droits acquis par la possession.[15]

Il y a trois sortes de certificats: le certificat de localisation, le certificat de piquetage et le certificat de bornage. Un certificat de localisation est l’opinion unilatérale d’un arpenteur sur la situation d’un bien-fonds par rapport aux titres, au cadastre ainsi qu’aux lois et règlements pouvant l’affecter. Il n’y a pas d’arpentage dans un tel cas et le certificat de localisation n’en est pas un de bornage.[16]

L’arpenteur-géomètre remplit le rôle d’enquêteur et d’analyste du terrain et des titres. De plus, il recueille des témoignages sous serment dans un cadre assimilable à une audition judiciaire. Il est tenu de respecter les règles fondamentales de la justice naturelle. Il apprécie la preuve et les autres éléments soulevés par les parties. Ses conclusions sont rédigées de façon à pouvoir les rendre exécutoires soit du consentement des parties soit par décision du tribunal.[17]

Le rapport de l’arpenteur-géomètre peut être contesté. Celui qui le fait doit démontrer l’erreur par prépondérance de la preuve. Toutefois, les questions de droit et d’appréciation de la preuve restent exclusivement du ressort du tribunal.[18]

Une demande en bornage judiciaire oblige le tribunal à décider de la ligne séparatrice. Le procès-verbal d’abornement de l’arpenteur-géomètre désigné par les parties, ni accepté ni signé par ces dernières, constitue un simple rapport d’expertise et ne peut être homologué avant la tenue d’un débat contradictoire.[19]

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[1] Le piquetage est l’ensemble des opérations effectuées par un arpenteur-géomètre pour indiquer les limites d’un terrain au moyen de repères. Il est effectué à la demande du propriétaire et correspond à l’opinion d’un arpenteur-géomètre quant aux limites de la propriété en question. Le piquetage n’a pas la même portée que le bornage, puisqu’il ne fait que rendre publiques les limites apparentes du terrain.

[2] Jolicoeur c. Québec (Cité de), (C.S., 1969-09-14), SOQUIJ AZ-70021041, [1970] C.S. 247

[3] Lewis c. Montreal (City of), (C.S. Can., 1927-01-04), SOQUIJ AZ-50292947, [1927] R.C.S. 213

[4] Pomerleau-Fortin c. Chrétien, (C.S., 2004-07-26), SOQUIJ AZ-50264142, B.E. 2004BE-784, [2004] R.L. 361

[5] Chevaliers de Colomb de Causapscal c. Tremblay, (C.S., 1972-01-26), SOQUIJ AZ-73021005

[6] Beausoleil c. Lafrenière, (C.S., 1945-07-14), [1946] R.L. 412, 1945 CanLII 242 (QC CS)

[7] Patron c. Charbonneau, (C.A., 2003-10-01), SOQUIJ AZ-50194661

[8] Ouimet c. Desmarais, (C. Circuit, 1914-04-21), 21 R. de J. 96

[9] Otis c. Fournier, (C.S., 1992-03-31), SOQUIJ AZ-92023028, [1992] R.D.I. 299

[10] St-Lin-Laurentides (Ville de) c. Baron, (C.A., 2004-06-22), SOQUIJ AZ-50259236

[11] Barry c. Gauthier, (C.A., 1990-04-06), SOQUIJ AZ-90011495

[12] Trudel c. Gingras, (C.A., 1996-05-21), SOQUIJ AZ-96011620

[13] Chalifour c. Parent, (C.S. Can., 1901-03-28), 31 R.C.S. 224

[14] Boutin c. Blais, (C.S., 1988-05-18), SOQUIJ AZ-88023031, [1988] R.D.I. 408

[15] McKay c. McCuaig, (C.S., 1910-09-10), 17 R. de J. 166 et Lyons c. Prévost, (C.S., 1924-02-29)

[16] Desmarais c. Valiquette-Mondello, (C.Q., 1994-08-31), SOQUIJ AZ-94033066, [1994] R.D.I. 706

[17] Eastman (Municipalité d’) (Municipalité de Stukely) c. Gespoc inc., (C.S., 2005-04-18)

[18] Bouchard c. Capital Lévesque inc., (C.S., 2015-08-20)

[19] Lambert c. Vachon, (C.S., 2002-02-12), SOQUIJ AZ-50113119

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